Parce que mon âme est pleine d’illusions, et ma chair n’est point saine »[1]. L’homme dans son intégrité comprend l’âme et le corps. L’âme est remplie d’illusions, la chair n’est point saine ; quel sujet de joie lui reste-t-il ? N’est-il pas nécessairement dans la tristesse ? Tout le jour je marche dans la douleur. Soyons donc tristes jusqu’à ce que notre âme soit délivrée de ses illusions, et notre corps revêtu de santé. Car la santé dans la plénitude sera l’immortalité. Quelles illusions dans votre âme ! et, si j’entreprenais de les exposer, quand aurais-je fini ? Quelle âme ne les endure point ? Je dirai en un mot que notre âme est pleine d’illusions, et que ces illusions nous permettent souvent à peine de prier. Nous ne pouvons penser aux objets corporels qu’au moyen des images ; et souvent il nous vient en foule de ces images que nous ne cherchons point, et nous voulons aller de l’une à l’autre, voltiger de celle-ci à celle-là : et souvent tu voudrais revenir à ta pensée première, chasser celle qui t’occupe, quand une nouvelle arrive ; tu cherches à rappeler ce que tu oubliais, sans qu’il te revienne à l’esprit, et il te vient plutôt ce que tu ne voulais pas. Où était ce que tu avais oublié ? Comment est-il revenu en ta mémoire, quand tu ne le cherchais point ? quand tu le cherchais, tu n’as rencontré que mille objets que tu ne cherchais point. Je ne vous dis cela qu’en un mot, mes frères ; c’est je ne sais quelle semence légère que je répands, afin qu’en la méditant en vous-mêmes, vous sachiez ce que l’on appelle pleurer les illusions de notre âme. Elle a donc été la proie de ces illusions, elle a perdu la vérité. De même que l’illusion est pour l’âme un supplice, ainsi la vérité est une joie. Mais comme nous gémissions sous le poids de ces futilités, la vérité nous est venue, nous a trouvés affublés d’illusions, et a pris notre chair, ou plutôt l’a prise de nous, c’est-à-dire du genre humain. Elle s’est montrée aux yeux de notre chair, afin de guérir par la foi ceux à qui elle devait enseigner la vérité, afin que l’œil devenu sain pût voir cette vérité. Car le Christ est lui-même la vérité qu’il nous a promise, alors que sa chair était visible, afin de nous initier à la foi dont la vérité est la récompense. Car le Christ ne s’est point montré lui-même sur la terre, il n’a montré que sa chair. S’il se fût en effet montré lui-même, les Juifs l’auraient vu et l’auraient connu ; mais s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire[2]. Peut-être les disciples le virent-ils quand ils dirent : « Montrez-nous le Père et cela nous suffit[3] ». Mais lui, pour leur montrer qu’ils ne l’avaient point vu encore, ajouta : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père[4] ». Si donc ils voyaient le Christ, comment voulaient-ils voir son Père, puisque voir le Christ, c’était voir le Père ? Donc ils ne voyaient point le Christ, puisqu’ils demandaient qu’on leur montrât le Père. Comprenez encore qu’ils ne l’avaient point vu ; il leur en fit la promesse comme récompense, en disant : « Celui qui m’aime garde mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai[5] ». Et comme si quelqu’un lui eût demandé : Que lui donnerez-vous pour gage de votre amour ? « Je me montrerai à lui », répond-il. Si donc il promet pour récompense à ceux qui l’aiment de se montrer à eux, il est clair qu’il nous promet de la vérité une vue telle que, après en avoir joui, nous ne disions plus : « Mon âme est en proie aux illusions ».
12. « J’ai été affaibli et humilié à l’excès[6] ». Le souvenir de cette hauteur du sabbat lui fait comprendre son humiliation. Celui en effet qui ne peut comprendre l’éminence de ce repos, ne peut voir où il est maintenant. Aussi est-il écrit dans un autre psaume : « J’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vous[7] ». Dans le ravissement de son âme, il a vu en effet je ne sais quoi de sublime, et il n’était point tout entier où il contemplait cette vision ; mais un éclair de la lumière éternelle, pour ainsi dire, lui a fait comprendre qu’il n’était point dans les régions qu’il voyait, et fait voir le lieu où il était ; alors, comme affaibli et resserré par les misères de l’humanité, il s’est écrié : « J’ai dit dans mon extase : Me voilà repoussé loin de vos regards. Ce que j’ai vu dans mon extase m’a fait comprendre combien je suis éloigné de ce lieu où je ne suis point encore. C’est là qu’était déjà celui qui raconte qu’il fut élevé jusqu’au troisième ciel, et qu’il entendait là des paroles
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