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2. Mais dans tout genre de vie que l’on professe, tous ne sont pas élus ni tous réprouvés ; c’est ce qui ressort de toutes ces catégories que l’Évangile nous proposait tout à l’heure en exemples, et d’où le Sauveur conclut : « L’un sera pris, l’autre sera laissé ! On prendra le bon pour laisser le mauvais. Vous voyez deux hommes dans les champs, la profession est la même, le cœur est différent. Les hommes voient le même état de vie, mais Dieu voit le cœur. Quel que soit le sens figuratif du champ : « L’un sera pris, l’autre sera laissé »[1] ; non que Dieu doive prendre la moitié des hommes et laisser l’autre moitié mais il assigne pour les hommes deux états différents. Qu’il y ait ou non peu d’hommes dans l’un de ces états et beaucoup dans l’autre, « l’un sera choisi, l’autre laissé » ; c’est-à-dire, un de ces états sera pris, l’autre abandonné. Il en est de même de ceux qui sont au lit, de ceux qui sont occupés à moudre. Vous attendez peut-être une explication ; vous voyez là des obscurités enveloppées d’énigmes. Je puis y donner un sens, et tel autre un sens différent ; mais je n’interdis à personne de chercher un sens meilleur que celui que j’aurai exposé, comme nul ne m’empêchera de prendre le sien, si l’un et l’autre sont d’accord avec la foi. Ceux qui travaillent dans les champs me paraissent désigner les chefs des églises ; car l’Apôtre a dit : « Vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice que Dieu bâtit »[2]. Lui-même s’appelle architecte, en disant : « Comme un architecte sage, j’ai d’abord posé le fondement » ; puis comme laboureur, en disant : « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l’accroissement »[3]. En parlant du moulin, Jésus-Christ désigne deux femmes[4] et non deux hommes. Je crois que cette figure rappelle les peuples, car ils sont gouvernés, tandis que ce sont les préposés qui gouvernent. Ce moulin, selon moi, désigne le monde, qui tourne pour ainsi dire sur la roue du temps, et qui broie ceux qui s’éprennent de lui. Il est donc des hommes qui ne se retirent point des affaires du monde ; et toutefois, dans ces affaires, les uns mènent une vie pure, les autres une vie désordonnée. Les uns se font, avec la monnaie de l’iniquité[5], des amis qui les recevront dans les tabernacles éternels ; c’est à eux qu’il est dit : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger »[6] ; d’autres négligent ces actions saintes et on leur dira : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger »[7]. Ainsi, parce que dans les œuvres et dans les affaires du monde, les uns aiment à faire du bien aux pauvres, et que les autres en ont peu de souci : il en sera comme de deux femmes qui tournent la meule, dont l’une sera choisie, l’autre abandonnée. Le lit me paraît ici le symbole du repos : il y a des hommes, en effet, peu désireux de s’engager dans le monde, comme le font ceux qui ont des Épouses, des palais, des domestiques, des enfants, et qui n’ont aucun emploi dans l’Église, comme les ministres qui semblent cultiver le champ du Seigneur. Se croyant trop faibles pour ces fardeaux, ils recherchent le repos et mènent une vie tranquille ; dans la conviction de leur faiblesse, ils ne se mesurent point avec les actions difficiles, mais ils prient Dieu comme sur la couche de l’impuissance. Dans cet état même, les uns sont bons, les autres hypocrites ; aussi est-il dit de ceux-ci encore : « L’un sera pris, l’autre négligé ». Quel que soit l’état que tu embrasses, prépare-toi à y trouver des hypocrites ; car si tu n’y es préparé, tu les rencontreras contre ton attente, ce qui te jettera dans l’abattement ou dans le trouble. C’est donc pour te préparer que le Seigneur te parle quand il est temps pour lui de parler et non de juger ; pour toi, d’entendre et non de te repentir vainement. Car aujourd’hui la pénitence n’est point inutile ; elle le sera dans ce moment. En effet, les hommes alors ne seront point sans repentir, mais la justice de Dieu ne rappellera point pour eux ce qu’ils auront perdu par leur injustice. Car il est juste que Dieu exerce aujourd’hui sa miséricorde, et alors son jugement. Aussi, rien n’est muet aujourd’hui. Est-ce que Dieu se tait ? Que chacun se plaigne, qu’il murmure, si aujourd’hui la parole sainte n’est récitée, chantée dans l’univers entier, si ce livre n’est même vendu publiquement.
3. Mais ce qui te bouleverse, ô chrétien, ô mon frère, c’est de voir dans la félicité ceux qui vivent dans le désordre, c’est de les voir dans l’abondance des biens terrestres, jouir de la santé, briller par l’éclat des charges, avoir des maisons dans la prospérité, des enfants

  1. Mt. 24,40
  2. 1 Cor. 3,9-10
  3. 1 Cor. 3,6
  4. Mt. 24,41
  5. Id.
  6. Lc. 16,9
  7. Mt. 25,35-42