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en auront moins à en endurer, et parce qu’ils sont justes, ils en auront beaucoup. Mais après des souffrances ou légères ou nulles, les injustes arriveront à la douleur éternelle, dont ils ne seront point délivrés ; tandis que les justes, après les grandes douleurs de cette vie, arriveront à l’éternel repos, où ils n’auront aucun mal à souffrir. « De grandes tribulations sont réservées aux justes ; mais le Seigneur les délivrera de tous les maux »[1].
24. « Il garde tous leurs os, pas un ne sera brisé »[2]. Ceci, mes frères, ne doit point s’entendre d’une manière charnelle. Les ossements dont la force des fidèles. De même que, dans le corps humain, les os donnent la solidité, de même, dans le cœur du chrétien, c’est la foi qui en fait la force. La patience qui vient de la foi nous constitue une ossification intérieure. C’est là ce qu’on ne peut briser. « Le Seigneur garde tous leurs os, pas un ne sera brisé ». Si le Prophète, en partant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, eût dit Le Seigneur garde tous les ossements de son Fils, nul ne sera brisé : selon la figure qui nous en est donnée dans un autre endroit, quand il fut prescrit d’immoler un agneau et que Moïse ajouta : « Garde-toi d’en briser les os »[3] ; assurément cette prédiction s’est accomplie en Jésus-Christ. Quand il pendait à la croix, il expira avant que les soldats vinssent à lui, et comme ils trouvèrent son corps inanimé, ils ne voulurent point lui briser les jambes, et ainsi s’accomplit la prédiction[4]. Mais le Seigneur fait encore cette promesse aux autres chrétiens : « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera brisé ». Si donc, mes frères, nous voyons quelque juste endurer quelque souffrance, telle amputation que lui fait un médecin, telle meurtrissure que lui fait un ennemi, au point que ses os soient brisés, ne disons pas : Cet homme n’était pas juste, puisque Dieu a fait à ses justes cette promesse : « Le Seigneur garde leurs os, pas un ne sera brisé ». Voulez-vous voir qu’il parle d’autres os, de ceux que nous appelons la force de la foi, c’est-à-dire de la patience à endurer la douleur ? Car tels sont les os que l’on ne brise point. Écoutez et voyez ce que je vais dire de la passion du Sauveur. Le Seigneur était crucifié au milieu de deux voleurs : l’un d’eux lui insulta, l’autre crut en lui ; l’un fut damné, l’autre justifié ; l’un subit son châtiment ici-bas et dans l’éternité, et le Seigneur dit à l’autre : « En vérité, je vous le dis, vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis[5] » : et pourtant, ceux qui étaient venus et qui ne brisèrent point les ossements du Seigneur, brisèrent ceux des deux larrons[6] ; en sorte que ceux du larron blasphémateur furent brisés comme les os de celui qui crut en Jésus-Christ. Où est donc la vérité de cette parole : « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera rompu ? » N’a-t-il donc pu garder tous les os de ce voleur à qui il disait : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ? » Le Seigneur te répond : Au contraire, je les ai gardés, puisque les coups des bourreaux qui lui brisaient les jambes n’ont pu ébranler la solidité de sa foi.
25. « La mort des pécheurs est très funeste »[7]. Écoutez ceci, mes frères, après ce que nous venons de dire. Assurément Dieu est grand, sa miséricorde est grande ; il est grand, celui qui nous a donné à manger son corps tout meurtri, et son sang à boire. Comprenez comment il voit les pensées corrompues des hommes qui disent : Cet homme est mort, les bêtes l’ont dévoré ; il n’était pas juste, puisqu’il a péri si misérablement ; autrement, eût-il péri de la sorte ? Donc celui-li est juste qui meurt chez lui et dans son lit ? C’est encore là ce qui m’étonne, diras-tu, car je connais ses péchés et ses crimes, et toute fois, il est mort paisiblement dans sa maison, dans sa chambre, sans avoir souffert dans ses voyages nullement, pas même dans un âge avancé. Écoute bien, ô mon frère. « La mort des pécheurs est très funeste ». Cette mort que tu crois heureuse est très mauvaise, au point de vue intérieur. Tu vois extérieurement un homme étendu sur un lit funèbre ; mais le vois-tu, des yeux de la foi, entraîné dans l’enfer ? Écoutez, mes frères, et voyez d’après l’Évangile ce qu’il y a de funeste dans la mort des pécheurs. N’y voyez-vous pas deux hommes qui vivaient ici-bas, l’un riche, vêtu de pourpre et de fin lin, et qui faisait chaque jour bonne chère[8] ; l’autre pauvre, étendu à la porte du riche et couvert d’ulcères, et les chiens venaient et léchaient ses ulcères, et il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche ? Il arriva que le pauvre mourut, et ce pauvre qui était juste fut porté

  1. Ps. 33,20
  2. Id. 21
  3. Exod. 12,46
  4. Jn. 19,33
  5. Lc. 23,43
  6. Jn. 19,32
  7. Ps. 33,22
  8. Lc. 16,19-25