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est inférieur, de la fragilité humaine, dans la douleur, dans les langueurs, dans les afflictions, dans les souffrances, dans les tentations. C’est alors, et toujours alors, que doit louer Dieu celui qui tient la harpe. Que lui importe que tout cela tienne à la vie inférieure, puisque tout cela n’est conduit et réglé que par cette sagesse, qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force et dispose toutes choses avec douceur ?[1] Si Dieu gouverne les cieux, néanmoins il ne néglige point la terre : n’est-ce pas à lui qu’il est dit : « Où irai-je devant votre esprit, où fuirai-je devant votre face ? Si je monte au ciel, vous y êtes ; si je descends dans les enfers, vous y êtes encore »[2]. D’où peut être absent celui qui n’est absent d’aucun lieu ? Donc, chantez le Seigneur sur la harpe. Dans l’abondance des biens terrestres, remerciez celui qui vous en a fait don ; dans la disette, ou dans les pertes, chantez sans rien craindre. Car vous n’avez point perdu celui qui vous adonné ces biens, quand même on vous enlèverait ses dons. Louez Dieu, vous dis-je, même dans cette condition ; ayez confiance dans votre Dieu, touchez les cordes de votre cœur, et dites comme sur une harpe qui échappe dans sa partie inférieure des sons harmonieux : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni »[3].
6. Mais si tu arrêtes ton attention sur les dons supérieurs que le Seigneur t’a faits, sur les préceptes qu’il t’a donnés, sur la céleste doctrine dont il a éclairé ton âme, sur la vérité qui t’arrive de la source la plus pure, prends alors ton psaltérion, bénis le Seigneur sur le psaltérion à dix cordes. Les préceptes de la loi sont en effet au nombre de dix, et ces dix préceptes vous forment une lyre à dix cordes. L’harmonie est complète. Trois préceptes regardent l’amour de Dieu, et les sept autres, l’amour du prochain. Or, toutefois, le Seigneur l’a déclaré : « Ces deux commandements renferment toute ta loi et les prophètes »[4]. C’est d’en haut que le Seigneur t’a dit : « Le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu » : c’est pour ta lyre la première corde. « Tu ne prendras point en vain le nom du Seigneur ton Dieu » : c’en est la seconde. « Observe le jour du sabbat, non point d’une manière charnelle, non dans les plaisirs, comme les Juifs qui abusent du repos pour commettre l’iniquité ; le mal serait moins grand de passer le jour entier à cultiver la terre qu’à danser ; mais toi qui ambitionnes le repos en Dieu, et qui ne fais rien qu’en vue de l’obtenir, abstiens-toi de toute œuvre servile : « Car tout homme qui fait le péché devient est esclave du péché »[5]. Et plût à Dieu qu’il ne le fût que d’un homme et non du péché. Ces trois préceptes embrassent l’amour de Dieu, dont tu dois méditer la vérité, l’unité, les délices. Car il y a certaines délices en Dieu, où nous trouverons le véritable sabbat, le vrai repos. Aussi est-il dit : « Mets en Dieu tes délices, et il comblera les désirs de ton cœur »[6]. Quel autre en effet peut nous procurer plus de chastes délices que le Créateur de tout ce qui nous apporte les délices ? Dans ces trois préceptes se résume l’amour de Dieu ; dans les sept autres l’amour du prochain : « Ne fais point à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te fasse. Honore ton père et ta mère », parce que tu veux être honoré par tes enfants. « Ne commets pas l’adultère », parce que tu ne veux pas que ta femme s’y livre en ton absence. « Tu ne tueras point », car tu ne veux pas être tué. « Tu ne voleras point », parce que tu ne veux pas que l’on te vole. « Tu ne feras point de faux témoignage », parce que tu hais celui qui fait un faux témoignage contre toi. « Ne désire pas la femme de ton prochain », parce que tu ne veux pas qu’un autre pense à la tienne. « Ne désire pas ce qui appartient à un autre »[7], puisqu’on te déplaît quand on désire ce qui est à toi. Interroge donc tes propres sentiments, puisqu’on ne peut te nuire sans te déplaire. Tous ces préceptes nous viennent de Dieu : c’est un don de la suprême Sagesse ; c’est d’en haut qu’ils ont retenti. Touche donc le psaltérion, accomplis la loi que le Seigneur ton Dieu est venu, non pas détruire, mais accomplir lui-même[8]. Car tu accompliras par amour ce que tu ne pouvais accomplir par la crainte. Celui qui n’évite le mal que par la crainte, le ferait volontiers, sans la défense. Je ne le commets point, dira-t-il. Pourquoi ? parce que je crains. Tu n’aimes pas encore la justice, tu es encore dans l’esclavage : sois donc un fils, car un bon esclave

  1. Sag. 8,1
  2. Ps. 138,7-8
  3. Job. 1,21
  4. Mt. 22,40
  5. Jn. 8,34
  6. Ps. 36,4
  7. Exod. 20,1-17 ; Deut. 5,6-21
  8. Mt. 5,17