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que l’on ne donne pas aux chiens ce qui est saint, ni les perles aux pourceaux[1], Les premiers préfèrent aboyer toujours, plutôt que de rechercher avec soin ; les autres ne veulent ni aboyer ni chercher, mais se vautrer dans la fange de leurs voluptés. Mais quand on loue le Seigneur avec de saintes affections, alors il accorde à ceux qui demandent, il se manifeste à ceux qui le cherchent, il ouvre à ceux qui frappent. Ces portes de la mort s’entendraient-elles des sens du corps, des yeux qui s’ouvrirent en Adam, quand il eut goûté du fruit défendu[2], et au-dessus desquels s’élèvent ceux qui ne recherchent point les biens visibles, mais les invisibles ? « Ce qui est visible, en effet, n’est que temporel, tandis que les biens invisibles sont éternels[3] » ; et alors les portes de Sion ne seraient-elles pas les sacrements et les principes de la foi que Dieu veut bien ouvrir à ceux qui frappent, afin qu’ils parviennent à connaître les secrets du Fils ? « Car ni l’œil n’a vu, ni l’oreille n’a entendu, ni le cœur de l’homme n’a compris, ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment[4] » ici finirait alors ce cri des pauvres, qui n’est point en oubli pour le Seigneur.
15. Voyons la suite. « Je serai dans la joie, à la vue du Sauveur qui vient de vous[5] » ; c’est-à-dire, je trouverai mon bonheur dans le Sauveur que vous m’avez donné, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, la force et la sagesse de Dieu[6]. Tel est donc le langage de l’Église, affligée ici-bas et sauvée par l’espérance : tant que le jugement du Fils est caché, elle s’écrie avec espoir : « Je tressaillerai dans le Sauveur que vous m’avez donné » ; parce que sur la terre, elle est sous le poids des violences ou des erreurs de l’idolâtrie. « Les nations sont tombées dans la fosse qu’elles avaient creusée[7] ». Voyons ici comment le pécheur a toujours trouvé son châtiment dans ses propres œuvres, et comment ceux qui ont voulu faire violence à l’Église sont demeurés dans la dégradation qu’ils voulaient lui faire subir. Ils voulaient tuer des corps, et eux-mêmes tuaient leurs âmes. « Leur pied s’est engagé dans le piège qu’eux-mêmes avaient caché[8] ». Ce piège caché, c’est la pensée fourbe, et par le pied de l’âme, on peut comprendre l’amour, qui s’appelle convoitise et débauche quand il est dépravé, affection et charité quand il est droit. C’est l’amour qui pousse l’âme vers le lieu où elle veut arriver ; et ce lieu n’est point un espace occupé par une forme corporelle, mais le plaisir où elle se réjouit que l’amour l’ait fait aboutir. Or, la convoitise aboutit au plaisir dangereux, la charité aux chastes délices. De là vient que la convoitise est appelée une racine[9]. La charité aussi est appelée racine, quand il s’agit de ces divines semences qui tombent dans les lieux pierreux, où elles doivent se dessécher sous les feux du soleil, parce qu’elles n’ont pas une racine profonde[10] ; ainsi sont stigmatisés ceux qui reçoivent avec joie la parole de la vérité, mais qui cèdent facilement aux persécutions, parce que la charité seule peut résister. L’Apôtre dit encore : « Afin que nous ayons la charité pour base et pour racine, et que par là nous puissions résister[11] ». Donc le pied des pécheurs, ou l’amour, s’engage dans le piège qu’ils avaient caché, parce qu’en goûtant le plaisir d’un acte trompeur, livrés qu’ils sont par le Seigneur aux désirs d’un cœur déréglé[12], ils se laissent enlacer par ce plaisir, de manière à n’oser plus en dégager leur affection pour la porter à des objets sérieux. Au premier effort qu’ils tenteront, ils gémiront dans leur âme, comme le forçat qui veut dégager des fers son pied captif ; et, succombant à la douleur, ils ne voudront plus se sevrer de ces plaisirs homicides. Ainsi donc, « dans ce piège qu’ils avaient caché », ou dans leurs desseins artificieux, « leur pied demeure engagé », c’est-à-dire, leur amour est arrivé par la fraude à cette joie futile qui enfante la douleur.
16. « On reconnaît le Seigneur à l’équité de ses jugements[13] ». Tels sont en effet les jugements de Dieu, qu’il ne sort point du calme de sa félicité, ni des secrets de sa sagesse qui servent d’asile aux âmes bienheureuses, pour lancer contre les pécheurs le fer, la flamme, ou les bêtes féroces, et les livrer aux tourments. Comment donc sont-ils tourmentés, et comment le Seigneur exerce-t-il ses jugements ? « C’est dans l’œuvre de ses mains », dit le Prophète, « que le pécheur s’est enlacé ».
17. Il y a ici : « Cantique de Diapsalma ( Graec. 70, ode diapsalmatos) ». Autant que je puis en juger, c’est l’indice d’une joie secrète, causée par la séparation

  1. Mt. 7,6
  2. Gen. 3,7
  3. 2 Cor. 4,18
  4. Id. 2,9
  5. Ps. 9,16
  6. 1 Cor. 1,24
  7. Ps. 9,16
  8. Id.
  9. 1 Tim. 6,10
  10. Mt. 13,5
  11. Eph. 3,17
  12. Rom. 1,24
  13. Ps. 9,17