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12. « Chantez au Seigneur qui habite en Sion[1] », est-il dit à ceux qui cherchent le Seigneur, et qu’il n’abandonne pas. Il habite Sion, qui signifie contemplation, et nous offre l’image de l’Église actuelle, comme Jérusalem figure l’Église à venir ou la cité des saints qui jouissent déjà de la vie des anges, puisque Jérusalem signifie vision de la paix. Or, la contemplation précède la vision, comme l’Église d’ici-bas précède la cité immortelle et éternelle qui nous est promise ; mais elle ne la précède que dans l’ordre du temps sans la surpasser en dignité, car la fin où nous tendons est plus honorable que l’effort que nous faisons pour y arriver ; or, notre effort actuel, c’est la contemplation, par laquelle nous arriverons à la vision. Mais si dès aujourd’hui le Seigneur n’habitait dans l’Église de la terre, la plus attentive contemplation pourrait aboutir à l’erreur. Aussi est-il dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[2] » ; et : « Le Christ habite dans l’homme intérieur et dans vos cœurs par la foi[3] ». Il nous est donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite en Sion, afin que nous chantions de concert les louanges du Dieu qui habite en son Église. « Annoncez parmi les peuples ses merveilles[4] ». C’est ce qui a été fait, et se fera toujours.
13. « Le Seigneur s’est souvenu d’eux, en recherchant leur sang répandu[5] ». Comme si les Apôtres, envoyés porter l’Évangile aux peuples, répondaient à cette injonction : « Publiez ses merveilles parmi les peuples », et disaient : « Seigneur, qui pourra croire à notre parole[6] ? » et : « Chaque jour, votre amour nous fait égorger ? ». Le Prophète a raison d’ajouter que pour les chrétiens persécutés, le fruit de la mort sera la grande acquisition de l’éternité : « Parce que le Seigneur se souvient d’eux et venge leur sang ». Mais pourquoi le Prophète a-t-il choisi de préférence cette expression : « Leur sang ? » Répondrait-il à cette question que pourrait lui faire un homme ignorant et faible dans la foi : « Comment prêcheront-ils chez ces infidèles qui doivent les égorger[7] ? » et dirait-il : « Le Seigneur se souviendra d’eux, et vengera leur sang », c’est-à-dire, viendra le dernier jugement pour mettre à découvert la gloire des victimes et le châtiment des bourreaux ? Car nul n’entendra cette expression : « Dieu s’est souvenu d’eux », comme s’il avait pu les oublier ; mais parce que le dernier jugement ne doit arriver qu’après un long espace de temps, le Prophète s’accommode au langage des hommes faibles, qui s’imaginent que Dieu oublie, parce qu’il agit avec plus de lenteur qu’eux-mêmes ne voudraient. C’est pour eux encore qu’il est dit plus bas : « Il n’a point oublié le cri des pauvres[8] » c’est-à-dire, il n’a point oublié, comme vous le pensez ; et comme si, après avoir entendu ce mot : « Il s’est souvenu », ils disaient : « Il avait donc oublié » : « Non », dit le Prophète, « il n’oublie point le cri du pauvre ».
14. Mais quel est, dirai-je, ce cri du pauvre que le Seigneur n’oublie point ? Est-ce le cri exprimé dans les paroles suivantes : « Prenez-moi, Seigneur, en pitié, voyez à quelle humiliation me réduisent mes ennemis[9] ? » Pourquoi donc ne disait-il pas au pluriel : « Prenez-nous en pitié, Seigneur, et voyez à quelle humiliation nous réduisent nos ennemis ? » comme si tant de pauvres criaient ensemble ; et dit-il : « Prenez-moi en pitié, Seigneur », comme s’il n’y avait qu’un seul pauvre ? Est-ce que celui-là seul parle au nom des saints qui, étant riche, s’est fait pauvre pour nous[10] ? Lui aussi dirait alors : « C’est vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je publie vos louanges aux portes de la ville de Sion[11] ». Car c’est Jésus-Christ qui relève l’homme, non seulement cet homme dont il s’est revêtu, et qui est le chef de l’Église ; mais chacun de nous, qui sommes les membres de son corps, et il nous élève au-dessus des convoitises dépravées qui sont les portes du trépas, puisque c’est par là que nous allons à la mort. Et la mort est déjà dans ces joies que procurent les jouissances, quand nous acquérons ce qu’il était criminel de désirer : « Car la convoitise est la racine de tous les maux[12] ». Aussi peut-on l’appeler porte de la mort, car une veuve qui vit dans les délices est déjà morte[13]. Or, c’est par la convoitise que nous entrons dans les délices, comme par les portes de la mort. Mais les portes de Sion sont les saints désirs qui aboutissent à la vision de la paix dans la sainte Église. C’est donc dans ces portes qu’il nous faut publier toutes les louanges du Seigneur, afin

  1. Ps. 9,12
  2. 1 Cor. 3,17
  3. Eph. 3,16-17
  4. Ps. 9,12
  5. Id. 13
  6. Isa. 53,1
  7. Ps. 43,22
  8. Ps. 9,13
  9. Id. 14
  10. 2 Cor. 8,9
  11. Ps. 9,15
  12. 1 Tim. 6,10
  13. Id. 5,6