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selon ses œuvres. « Qui vous confessera dans les enfers[1] ? » Le riche dont parle Jésus-Christ, confessa Dieu dans les enfers, quand il se plaignit de ses tortures, en voyant Lazare au sein du repos ; il confessa Dieu au point de vouloir avertir les siens de s’abstenir du péché, en vue de ces tourments de l’enfer, auxquels on ne croit point[2]. Ce fut en vain, il est vrai, mais enfin il confessa qu’il souffrait justement, puisqu’il désirait avertir ses frères de ne point encourir ces châtiments. Qu’est-ce à dire alors : « Qui confessera votre nom dans les enfers ? » Entendrait-il par là ce profond abîme, où sera précipité l’impie après le jugement, et dont les épaisses ténèbres ne laisseront échapper aucune lueur de Dieu pour le confesser ? Toutefois ce riche, en élevant les yeux, put apercevoir Lazare au sein du repos, nonobstant les ténébreuses profondeurs qui l’environnaient lui-même ; et la comparaison qu’il dut faire lui arracha l’aveu de ses fautes. Le Prophète pourrait donner aussi le nom de mort au péché que l’on commet au mépris de la loi divine ; et nous faire appeler mort ce qui n’en est que l’aiguillon, parce qu’il aboutit à la mort ; car l’aiguillon de la mort c’est le péché[3]. Dans cette mort l’oubli de Dieu serait le mépris de ses lois et de ses préceptes ; ainsi le Prophète appellerait enfer cet aveuglement de l’esprit, qui saisit et enveloppe le pécheur, ou l’âme qui meurt par le péché. « Comme ils n’ont pas fait usage », dit saint Paul, « de la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés au sens réprouvé[4] ». C’est de cette mort et de cet enfer que l’âme demande à Dieu de la préserver, quand elle cherche à revenir à lui, et sent les difficultés du retour.

7. Aussi le Prophète continue en disant « Je me suis fatigué dans mon gémissement », et comme si c’était peu, il ajoute : « Chaque nuit je laverai ma couche de mes larmes[5] ». Il appelle ici couche tout ce qu’une âme faible et malade cherche pour son repos, comme la volupté charnelle et les plaisirs du monde. C’est laver de ses larmes ces mêmes plaisirs, que chercher à s’en arracher. On voit que ses appétits charnels sont condamnables, et toutefois on est assez faible pour s’y attacher par goût, pour s’y reposer à l’aise ; et notre âme ne peut s’en relever qu’après sa guérison. Mais en disant : « Chaque nuit », le Prophète a voulu peindre sans doute l’homme dont l’esprit est prompt et reçoit quelque lueur de vérité, mais dont la chair est assez faible pour mettre parfois son bonheur dans les plaisirs du siècle, en sorte qu’il subit dans ses affections une alternative de lumière et de ténèbres : c’est le jour pour lui quand il dit : « Par l’esprit, j’obéis à la loi de Dieu », mais il décline vers la nuit à ces mots : « Et par la chair à la loi du péché[6] », jusqu’à ce qu’enfin toute nuit se dissipe, et que vienne ce jour unique dont il est dit : « Au matin je serai debout, et je verrai[7] ». C’est alors qu’il se tiendra debout ; mais aujourd’hui, il est étendu sur cette couche que chaque nuit il doit mouiller de ses larmes, et de larmes si abondantes, qu’il obtienne de la bonté de Dieu le remède infaillible. « J’arroserai mon lit de mes pleurs », est une répétition ; car « mes pleurs » montrent comment il a dit plus haut : « Je laverai ». « Son lit » a le même sens que « sa couche », et toutefois, « j’arroserai » dit plus que « je laverai » : laver peut se borner à mouiller à la surface, tandis que l’arrosage pénètre dans l’intérieur, ce qui marquerait des larmes jusqu’aux profondeurs de l’âme. Le Prophète change les temps du verbe ; il a dit au passé : « Je me suis fatigué dans mes gémissements » ; puis au futur : « Chaque nuit je laverai ma couche », puis encore : « J’arroserai mon lit de mes larmes », afin de nous montrer ce qui nous reste à faire quand nous nous sommes fatigués en vain à gémir ; comme s’il disait : Ce que j’ai fait ne m’a servi de rien, voici désormais ce que je vais faire.

8. « Mon œil s’est troublé dans la colère[8] » : est-ce dans sa propre colère, ou cette colère de Dieu par laquelle il a demandé de n’être ni accusé ni repris ? Mais si la colère de Dieu signifie le jugement, comment l’entendre dès cette vie ? Ou cette colère commencerait dès cette vie, dans les douleurs et les maux des hommes, et surtout dans leur impuissance à comprendre la vérité, selon le mot de saint Paul cité plus haut : « Dieu les a livrés au sens réprouvé[9] ». Tel est en effet l’aveuglement de l’esprit, que tout homme dans cet état se trouve privé de toute lumière intérieure de Dieu, mais pas absolument, tant que dure cette vie. Car il y a des ténèbres extérieures « qui sont réservées plus spécialement

  1. Psa. 6,6
  2. Luc. 16,23-31
  3. 1Co. 15,56
  4. Rom. 1,28
  5. Psa. 6,7
  6. Rom. 7,25
  7. Psa. 6,7
  8. Id. 8
  9. Rom. 1,28