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pas en effet nous le figurer tel qu’une idole. Dieu est de la nature de ce qui est invisible ; or ce qui est invisible est ce que nous avons de meilleur. Ainsi la fidélité est préférable au corps, préférable à l’or, préférable à l’argent, préférable aux trésors, préférable à des domaines, à une grande maison, aux richesses tous ces biens sont visibles, tandis que la fidélité ne l’est pas. À quoi donc comparer Dieu ? À ce qui est visible ou à ce qui est invisible ? À ce qui est plus vil ou à ce qui est plus précieux ? Parlons de ce qui est plus vil. Tu as deux esclaves ; l’un est laid de corps et l’autre d’une beauté ravissante ; mais le premier est fidèle et non pas l’autre. Lequel des deux préfères-tu, dis-moi ? Je vois bien que tu aimes ce qui ne se voit pas. Or, préférer le serviteur fidèle, avec sa laideur corporelle, à l’esclave infidèle, quoique beau, n’est-ce pas se tromper et préférer la laideur à la beauté ? Non, à coup sûr, c’est au contraire aimer la beauté plus que la laideur ; c’est faire moins de cas du témoignage des yeux du corps, que du témoignage des yeux du cœur. Que t’ont répondu les yeux du corps, quand tu les as interrogés ? Que des deux esclaves l’un était beau et l’autre laid. Tu n’as pas voulu de cette déposition, tu l’as mise de côté. Fixant ensuite les yeux du cœur sur les deux esclaves, tu as vu que si l’un était laid de corps, il était fidèle, et que l’autre était infidèle avec sa beauté corporelle. Tu t’es prononcé alors : Est-il rien, as-tu dit, de plus beau que la fidélité, rien de plus laid que l’infidélité ?

4. A tous les plaisirs, à toutes les jouissances mêmes permises il faut donc préférer la justice ; et s’il est vrai que tu aies des sens intérieurs, tous ces sens sont portés pour elle. As-tu des yeux intérieurs ? Contemple sa lumière : « En vous est la source de vie, et à votre lumière nous verrons la lumière[1] ». De cette lumière encore il est dit dans un psaume : « Illuminez mes yeux, de peur que « je ne m’endorme un jour dans la mort[2] ». As-tu aussi des oreilles intérieures ? Ouvre-les à la justice. C’est ce que demandait celui qui criait : « Entende, qui a des oreilles pour entendre[3] ». As-tu dans l’âme encore une espèce d’odorat ? Nous sommes partout, dit l’Apôtre, la bonne odeur du Christ[4] ». Il est dit encore, en s’adressant au goût : « Goûtez et reconnaissez combien le Seigneur est doux[5] ». Quant au toucher spirituel, voici ce que l’Épouse publie de son Époux : « De sa gauche il me soutient la tête et de sa droite il m’embrasse[6] ».

5. Revenons à l’espèce de duel que j’ai annoncé. Qui veut me répondre ? J’interrogerai et je mettrai à même de constater si on préfère réellement la justice à tout ce qui flatte les sens corporels. Tu aimes l’or, il charme tes regards ; de fait, l’or est un métal beau, brillant, agréable à voir. Il est beau, je ne le nie pas, et le nier serait outrager le Créateur. Mais voici une tentation. Je t’enlève ton or, dit-on, si tu ne fais pour moi ce faux témoignage, et si tu le fais, je t’en donne. Tu ressens alors un double attrait. Auquel, dis-moi, donneras-tu la préférence ? À ton attrait pour l’or, ou à ton attrait pour la vérité ? À ton attrait pour l’or, ou à ton attrait pour déposer conformément à la vérité ? L’or seul brille-t-il et la vérité ne brille-t-elle pas à sa manière ? Il faut, pour faire un vrai témoignage, être fidèle à la vérité. Si l’or brille, la fidélité n’a-t-elle pas aussi de l’éclat ?… Rougis, ouvre les yeux : n’offriras-tu pas à ton Maître ce qui te charmait dans ton esclave ? Quand, il y a un instant, je te demandais si tu préférais un bel esclave, mais infidèle, à un esclave laid, mais fidèle, tu m’as répondu conformément à la justice, tu as préféré ce qui était réellement préférable. Rentre en toi, car c’est de toi que maintenant il s’agit. Oui, tu aimes l’esclave fidèle ; Dieu est-il indigne d’avoir en toi un fidèle serviteur ? Quelle récompense si grande promettais-tu à ce fidèle esclave ? Comme preuve de ton vif attachement et comme récompense suprême, la liberté. Oui, qu’assurais-tu de grand à ce fidèle esclave ? La liberté temporelle. Et pourtant combien ne voyons-nous pas d’esclaves qui ne manquent de rien, et d’affranchis qui mendient ? Avant néanmoins de promettre cette liberté, tu exigeais que ton esclave te fût fidèle ; et tu n’es point fidèle à Dieu, quand il te promet l’éternité ?

6. Il serait trop long de faire également l’application à chacun des sens corporels ; entendez de tous les autres ce que j’ai dit de la vue et préférez toujours les joies de l’esprit aux joies de la chair. Votre corps est-il attiré à des plaisirs coupables ;

  1. Psa. 35, 10
  2. Psa. 12, 4
  3. Luc. 8, 8
  4. 2Co. 2, 15
  5. Psa. 33, 9
  6. Can. 2, 6