Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/43

Cette page n’a pas encore été corrigée

mais tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, qui sont fils de Dieu ».

11. Quelqu’un m’arrête ici : Que faisons-nous, si nous ne nous conduisons pas nous-mêmes ? Je réponds : Non-seulement tu agis quand tu es conduit, mais tu agis d’autant mieux que tu es mieux conduit. Car l’Esprit de Dieu qui te conduit, t’aide à bien agir. Il prend à ton égard ce nom d’aide, adjutor, pour te faire entendre que tu agis avec lui. Réfléchis à ce que tu demandes, réfléchis à ce que tu professes, quand tu lui dis : « Soyez mon aide, ne m’abandonnez pas[1] ». Oui tu appelles Dieu à ton aide. Mais on n’aide pas celui qui ne fait rien. « Tous ceux donc qui sont conduits par l’Esprit de Dieu », non par la lettre, mais par l’Esprit, non par la loi qui commande, qui menace, qui promet, mais par l’Esprit qui excite, qui éclaire et qui aide, « ceux-là sont fils de Dieu. – Nous savons, dit le même Apôtre, que tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu ». Si tu n’opérais pas, Dieu serait-il ton coopérateur ?

12. Mais soyez ici fortement sur vos gardes. Votre esprit ne pourrait-il pas dire : Dieu me retirât-il sa coopération et son aide, je n’en viendrai pas moins à bout ? Il me faudra faire effort sans doute et surmonter des difficultés, mais je puis réussir. C’est comme si on disait En ramant nous parviendrons au port avec quelque peine. Ah ! si le vent nous était favorable, quelle facilité plus grande ! – Mais telle n’est point la nature du secours que nous recevons du Père, que nous recevons du Fils, que nous recevons de l’Esprit-Saint. Nous ne pouvons sans ce secours faire absolument aucun bien. Il est vrai, tu agis sans lui avec liberté, mais tu agis mal. Voilà à quoi peut te servir cette volonté que tu appelles libre et qui en faisant le mal devient une esclave digne de damnation. Or quand je te dis que sans le secours de Dieu tu ne fais rien, j’entends, rien de bon ; ta libre volonté suffisant pour mal faire, sans le secours de Dieu. Et toutefois elle n’est pas libre ; car on est esclave de celui par qui on a été vaincu[2] », de plus : « Quiconque pèche est esclave du péché » ; enfin : « Si le Fils vous affranchit, vous serez alors véritablement libres[3] ».

13. Croyez donc qu’en faisant le bien de cette manière vous agissez volontairement. Dès que vous avez la vie, vous agissez ; l’Esprit-Saint ne vous aiderait pas si vous ne travailliez point, et si vous n’opériez, il ne vous servirait pas de coopérateur. N’oubliez pas toutefois que vous ne faites le bien qu’autant que vous l’avez pour guide et pour aide, et que sans lui vous ne pouvez aucun bien absolument[4]. Ainsi nous ne disons pas comme certains hommes qui se sont vus forcés enfin à reconnaître la grâce ; et pourtant nous bénissons Dieu de cet aveu tardif, car en avançant encore ils pourront arriver à la vérité. Ils disent donc que si la grâce de Dieu nous aide, c’est à agir plus facilement, et voici leurs expressions : « Le but pour lequel Dieu donne aux hommes sa grâce, disent-ils, c’est de les rendre capables d’accomplir plus facilement, avec cette grâce, ce qu’ils sont obligés de faire avec leur libre arbitre ». La navigation est plus facile avec les voiles, plus difficile avec les rames ; les rames pourtant suffisent. On voyage à cheval plus facilement, plus difficilement à pied ; à pied pourtant on finit par arriver. Or ce langage n’est pas celui de la vérité. Écoutez le Maître même de la vérité, ce Maître qui ne flatte ni ne trompe personne, ce Maître qui enseigne et qui sauve tout à la fois, et à qui nous a conduits un importun pédagogue. En parlant des bonnes œuvres, qu’il compare aux fruits des sarments et des branches de la vigne, il ne dit pas : Vous pouvez sans moi faire quelque chose, mais plus facilement avec moi ; il ne dit pas : Vous produirez sans moi du fruit, mais vous en produirez davantage avec moi. Il ne dit pas cela. Que dit-il donc ? Lisez le saint Évangile, devant qui s’abaissent les têtes superbes ; vous n’y trouverez pas la doctrine d’Augustin différente de la doctrine du Seigneur. Qu’y dit le Seigneur ? Sans moi vous ne pouvez rien faire[5] ». Et maintenant, lorsque vous entendez ces mots : « Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu », ne vous abattez point. En vous employant pour la construction de son temple, Dieu ne vous prend pas pour des pierres sans mouvement c’est l’ouvrier seul qui élève et place celles-ci. Telle n’est pas la nature des pierres vivantes. «

  1. Psa. 26, 9
  2. 2Pi. 2, 19
  3. Jn. 8, 34-36
  4. Il s’agit ici du bien dans l’ordre surnaturel, car on peut, sans le secours de la grâce, faire quelques bonnes œuvres naturelles
  5. Jn. 15, 5