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connaître sa doctrine. Écoute donc : « Et dans la crainte que la grandeur de mes révélations ne m’élève ». Mais quoi ! puis-je lui dire, vous avez peur de vous élever, ô saint Apôtre ? Il vous faut prendre garde encore à l’orgueil, le craindre encore ? Il faut, pour vous préserver de cette maladie, chercher encore quelque remède ?

6. Que me dis-tu là, reprend-il ? Sache donc qui je suis, et tremble au lieu de t’élever. Apprends avec quelles précautions doit marcher le petit agneau, quand le bélier est exposé à tant de périls. « De peur donc, poursuit-il, que la grandeur de mes révélations ne m’élève, il m’a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour m’appliquer des soufflets ». – De quel orgueil n’était-il pas menacé pour avoir été astreint à un si violent remède ? Dis-nous maintenant encore que la justice était en lui aussi parfaite que dans les saints anges. Est-ce qu’au ciel les saints anges ressentent aussi cet aiguillon, cet ange de Satan leur appliquant des soufflets pour leur faire évider l’orgueil ? A Dieu ne plaise que nous concevions de tels soupçons sur les saints anges ! Nous sommes hommes ; reconnaissons que les saints apôtres étaient hommes aussi ; vaisseaux d’élection, sans doute, mais fragiles encore, voyageurs sur la terre sans être encore triomphateurs dans la patrie du ciel, De plus l’Apôtre ayant demandé par trois fois au Seigneur d’être délivré de cet aiguillon charnel, sans être exaucé selon ses désirs, parce que Dieu avait plutôt en vue sa guérison[1], est-il étrange qu’il ait dit : « Nous savons que la loi est spirituelle ; mais moi je suis charnel ? »

7. Quoi ! cet Apôtre disait aux autres : « Vous qui êtes spirituels, instruisez les faibles en esprit de douceur », et il serait charnel lui-même ? Il traite les autres d’hommes spirituels, et il serait charnel encore ? – Cependant, que dit-il à ces spirituels ? Ils n’avaient pas atteint encore la perfection du ciel et des anges, ils ne goûtaient pas encore le tranquille repos de la patrie, mais éprouvaient toujours les sollicitudes et les anxiétés du voyage. que leur dit-il donc ? Oui, il les appelle spirituels : « Vous qui êtes spirituels, instruisez ces faibles avec l’esprit de douceur » ; mais il ajoute Prenant garde à toi, dans la crainte que toi aussi tu ne sois tenté[2] ». Ainsi pour ce chrétien même qu’il nomme spirituel, il redoute la faiblesse et la chute ; il craint que la tentation n’ait prise sur ce spirituel en agissant directement sur sa chair, sinon sur son esprit. Si cet homme est spirituel, c’est qu’il vit conformément à l’esprit ; mais son corps mortel le rend charnel encore, de sorte qu’il est à la fois spirituel et charnel. Spirituel : « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu ». Charnel : « Mais par la chair à la loi du péché ». Il est donc bien vrai qu’il est en même temps spirituel et charnel ? C’est chose incontestable pour tout le temps que dure sa vie sur cette terre.

8. Ne t’étonne pas de ceci, toi, qui que tu sois, qui consens et te laisses aller aux convoitises charnelles, qui peut-être les crois innocentes et destinées à assouvir ta passion pour les plaisirs, ou qui tout en les condamnant, t’y abandonnes en esclave et suis leurs inspirations honteuses ; tu es entièrement charnel. Oui, qui que tu sois, tu es charnel, charnel tout entier. Pour toi qui malgré cette défense de la loi : « Tu ne convoiteras pas[3] », ressens des impressions de convoitise, sans pourtant violer cette autre défense de la loi : « Ne te livre pas à tes passions[4] » ; si d’une part tu es charnel, tu es spirituel d’autre part. Car il est bien différent de ressentir la convoitise ou de s’y laisser aller. Pour ne la point ressentir, il faut être parvenu à la perfection suprême, et pour ne s’y pas laisser aller, il faut combattre, lutter, souffrir. Mais comment désespérer de la victoire quand on combat avec ardeur ? Or, quand la remportera-t-on ? Quand la mort sera anéantie dans son triomphe. Alors en effet se feront entendre les chants des vainqueurs et non les cris laborieux des combattants. Et quels seront ces chants, au moment où ce corps aura revêtu, corruptible, l’incorruptibilité, et mortel, l’immortalité ? Voici le vainqueur, écoute ses chants d’allégresse, prête l’oreille à ses acclamations triomphales. « Alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est anéantie dans sa victoire. O mort, où est ton ardeur ? O mort, où est ton aiguillon[5] ? » – Où est-il ? » Il était, mais il n’est plus. « O mort, où est ton ardeur ? » La voici pour le moment : « Je ne fais pas ce que je veux ». La voici encore : « Nous savons que la loi est

  1. 2Co. 12, 7-9
  2. Gal. 6, 1
  3. Exo. 20, 17
  4. Sir. 18, 30
  5. 1Co. 15, 53-55