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mourir. « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché ».

9. « Et dans sa chair il a condamné le péché par le péché même ». Quel péché ? Par quel péché ? « Il a dans sa chair condamné le péché par le péché même, afin que la justification de la loi s’accomplît en nous ». Oui, qu’elle s’accomplisse en nous, qu’elle s’accomplisse en nous par le secours de l’Esprit, cette justice qui nous est prescrite ; en d’autres termes, que la loi de la lettre s’accomplisse, par l’Esprit de vie, en nous qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l’Esprit ». Quel est donc ce péché et par quel péché le Seigneur l’a-t-il condamné ? Je vois, je vois clairement quel est le péché condamné. « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui enlève le péché du monde[1] ». Quel péché ? Tout ce qui est péché, tous les péchés commis par nous. Maintenant, par quel péché ? Il était, lui, sans péché. « Il n’a point commis de péché, est-il dit de lui, et on n’a point découvert de tromperie dans sa bouche[2] ». Non, il n’en a aucun, ni péché originel, ni péché actuel ; aucun, ni péché transmis, ni péché commis par lui. La Vierge nous fait connaître quelle fut son origine, et sa vie sainte nous montre suffisamment qu’il ne fit jamais rien qui lui méritât la mort. Aussi disait-il : « Voici venir le prince de ce monde », le diable, « et il ne découvrira rien en moi ». Ce prince de la mort ne trouvera pas un motif de me faire mourir. Ah ! pourquoi donc mourez-vous ? Afin que tous sachent que je fais la volonté de mon Père, sortons d’ici[3] ». Il s’en alla alors pour souffrir la mort, une mort volontaire, une mort choisie librement et non une mort imposée. « J’ai le pouvoir de déposer la vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me l’a ravie, c’est moi qui la dépose et la reprends[4] ». Tu t’étonnes de ce pouvoir, rappelle-toi sa majesté. C’est le Christ qui parle, il parle en Dieu.

10. Par quel péché donc a-t-il condamné le péché ? Quelques-uns ont donné à ces mots un sens qui n’est pas mauvais ; mais je crois qu’ils n’ont pas compris la pensée même de l’Apôtre. Encore une fois cependant leur sens n’est pas hétérodoxe, je le rapporterai d’abord, j’exposerai ensuite le mien et je montrerai par les divines Écritures combien il est incontestable. Ils se demandaient donc avec effroi par quel péché Dieu a condamné le péché : Dieu est-il coupable ? Et ils se sont répondus : S’il « a condamné le péché par le péché », ce n’est pas assurément par le sien. Cependant « il a condamné » réellement le péché par le péché ». Or ce n’est pas par le sien. Par lequel donc ? C’est par le péché de Juda, par le péché des Juifs. Comment, en effet, a-t-il répandu son sang pour la rémission des péchés ? Parce qu’il a été crucifié par les Juifs. Qui le leur a livré ? Juda. Ainsi les Juifs l’ont attaché à la croix et Juda l’a trahi. Ont-ils fait bien ou mal ? Ils ont péché. C’est par ce péché que Dieu condamne le péché. Sans doute il est juste, il est vrai de dire que c’est par le péché des Juifs que le Christ a condamné tout ce qui est péché, car c’est leur fureur qui lui a fait répandre le sang expiatoire de tous les péchés. Remarque toutefois comment s’exprime ailleurs le même Apôtre. « Nous faisons, dit-il, les fonctions d’ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche. Nous vous en conjurons par le Christ », supposez que le Christ vous en conjure lui-même, car c’est en son nom que nous vous parlons, « réconciliez-vous à Dieu ». Puis il ajoute : « Il ne connaissait point le péché » ; en d’autres termes, ce Dieu à qui nous vous conjurons de vous réconcilier, voyant Celui qui ne connaissait pas le péché, voyant innocent son Christ, Dieu comme lui, « l’a rendu péché pour l’amour de nous, afin qu’en lui nous devinssions justice de Dieu[5] ». Comment voir ici le péché de Juda, le péché des Juifs, le péché de tout autre mortel ? Nous lisons en propres termes : « Celui qui ne connaissait point le péché, il l’a rendu péché pour l’amour de nous ». Qui a rendu ? Qui a été rendu ? C’est Dieu qui a rendu son Christ péché pour l’amour de nous. L’Apôtre ne dit pas qu’il l’a fait pécheur, mais qu’il l’a fait péché ». Ce serait un blasphème de dire que le Christ a péché : comment souffrir qu’on l’accuse d’être le péché même ? Et pourtant nous ne saurions donner le démenti à l’Apôtre. Nous ne pouvons pas lui dire : Que prétends-tu là ? Parler ainsi à l’Apôtre ce serait nous élever contre le Christ, puisque l’Apôtre dit encore ailleurs. « Voulez – vous

  1. Jn. 1, 29
  2. 1Pi. 2, 22
  3. Jn. 14, 30-31
  4. Id. 10, 17-18
  5. 2Co. 5, 20-21