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l’ancienne loi même ne dirait point : « Tu ne te parjureras point, mais tu accompliras le serment fait par toi au Seigneur[1] ». Nous y serait-il commandé d’accomplir un péché ? – Il est vrai, Dieu te dit : Si tu jures, c’est-à-dire, si tu jures vrai, je ne te condamnerai point. Mais te condamnerai-je si tu ne jures pas ? Il est, poursuit-il, deux choses que je ne condamnerai jamais : jurer vrai et ne jurer pas, tandis que je réprouve le faux serment. Le faux serment est désastreux, le serment vrai est dangereux ; on ne court aucun péril en ne jurant pas. Je savais que cette question est difficile, et j’en fais l’aveu devant votre charité, toujours j’ai évité de la traiter. Mais puisque aujourd’hui dimanche, on a lu comme sujet du discours que je vous dois adresser, le passage où il en est fait mention, j’ai cru que le ciel même m’inspirait de vous en entretenir. Si donc Dieu veut que je vous en parle, il veut aussi que vous m’écoutiez sur ce point. Je vous en conjure, ne dédaignez pas ce sujet, comprimez la mobilité de vos pensées, retenez l’activité de vos langues. Non, non, ce n’est pas sans raison qu’après avoir cherché toujours à échapper à cette question, je me sens aujourd’hui contraint de l’aborder et d’en occuper votre charité.

5. Ce qui doit vous convaincre encore que le serment conforme à la vérité n’est pas un péché, c’est que l’apôtre Paul sûrement a juré. « Chaque jour, mes frères, je meurs, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ Notre-Seigneur[2] ». Ces mots par la gloire, sont une formule de serment. « Je meurs ; par la gloire que je reçois de vous », ne signifie donc, pas que cette gloire me fait mourir. On dit bien : Un tel est mort par le poison, il est mort par l’épée, il est mort par une bête, il a été tué par son ennemi, c’est-à-dire sous les coups de son ennemi, parle moyen de l’épée, du poison ou par tout autre moyen. Ce n’est pas dans ce sens que l’Apôtre s’écrie : « Je meurs, par la gloire que je reçois de vous ». Le texte grec ne permet aucune équivoque. Il suffit de le lire pour y découvrir une formule authentique de serment. Ηὴ τὴν ὑμετγέραν λαύχησιν, y est-il dit. Ηὴ τὸν Θεὸν est un serment pour le grec ; vous qui chaque jour entendez des Grecs et qui savez le grec, vous en êtes convaincus, et ces expressions signifient : Par Dieu. Aussi personne ne doute que l’Apôtre n’ait juré en prononçant ces mots. « Par la gloire que je reçois de vous » ; mais ce n’est pas une gloire humaine. Aussi ajoute-t-il : « En Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Il fait ailleurs encore un serment aussi certain que formel : « Je prends Dieu à témoin sur mon âme, dit-il ; je prends Dieu à témoin sur mon âme, que c’est pour vous épargner que je ne suis pas encore venu à Corinthe[3] ». Ailleurs encore, écrivant au Galates : « En vous écrivant ceci, dit-il, voici, devant Dieu, que je ne mens pas[4] ».

6. Appliquez-vous, je vous en prie, et suivez avec attention. Si mes paroles ne vous frappent pas assez vivement, attribuez-le aux difficultés du sujet ; vous en profiterez toutefois si vous savez vous en pénétrer. L’Apôtre donc a juré. Ah ! ne vous laissez pas égarer par ces esprits qui pour distinguer ou plutôt pour ne comprendre pas les formules de serment, répètent que ce n’en est pas de dire : Dieu sait, Dieu est témoin, j’en appelle à Dieu par mon âme que je dis la vérité. Il a invoqué Dieu, objectent-ils, il l’a cité comme témoin : était-ce jurer ? Ce langage prouve qu’eux-mêmes, en en appelant au témoignage de Dieu, n’ont en vue que de mentir. Mais quoi donc, ô cœur pervers et dépravé, c’est jurer que de dire ; Par Dieu ; et ce n’est pas jurer de prononcer ces mots : Dieu m’est témoin ? Eh ! Par Dieu ne signifie-t-il pas. Dieu m’est témoin ? Dieu m’est témoin exprime-t-il autre chose que ; Par Dieu ?

7. Que veut dire jurer, jurare, sinon rendre ce qui est dû, jus, à Dieu, quand on jure par Dieu ; à son salut, quand on jure par son salut ; et à ses enfants, quand on jure par eux ? Maintenant, que devons-nous à notre salut, à nos enfants, à notre Dieu, sinon vérité, charité et non pas mensonge ? Il y a surtout serment véritable, lorsqu’on en appelle à Dieu ; de plus, lorsqu’on dit : Par mon salut, on le remet entre les mains de Dieu, comme en jurant par ses enfants on les dévoue à Dieu afin qu’il fasse, retomber sur leur tête ce que l’on dit, la vérité, si c’est la vérité, et la fausseté, si c’est elle. Or, si en jurant par ses enfants, par sa tête ou par son salut, on engage à Dieu tout cela ; ne le fait-on pas beaucoup plus lorsqu’on ose dans un parjure faire intervenir

  1. Lev. 19, 12
  2. 1Co. 15, 3
  3. 2Co. 1, 23
  4. Gal. 1, 20