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Quand j’écoute, en effet, ma joie ne court aucun danger, je ne suis pas exposé à l’orgueil ; car on n’a pas à craindre de tomber dans cet abîme, lorsqu’on s’appuie sur le roc inébranlable de la vérité. Voulez-vous une preuve de ce que je vous dis ? Écoutez ces paroles : « Vous me donnerez, si je vous écoute, la joie et l’allégresse ». Ainsi mon bonheur est d’entendre. Le Prophète ajoute aussitôt : « Et mes ossements humiliés tressailleront de plaisir[1] ». C’est donc être humble que d’écouter, tandis que pour ne pas tomber, en prêchant, dans une vaine complaisance, il faut se comprimer. Si je ne m’enfle point alors, j’y suis exposé ; au lieu qu’en écoutant, je jouis d’un bonheur aussi sûr qu’il est secret. À ce bonheur n’était pas étranger l’ami de l’Époux quand il disait : « L’Époux est celui à qui appartient l’épouse ; pour l’ami de l’Époux, il est debout et l’écoute » ; et s’il est debout, c’est qu’il écoute. Aussi le premier homme resta-t-il debout, tant qu’il écouta Dieu, tandis qu’il tomba dès qu’il eut prêté l’oreille au serpent. Il est donc bien vrai que « l’ami de l’Époux est debout et l’écoute, et que de plus il est transporté de joie parce qu’il entend la voix de l’Epoux[2] ». Non pas sa propre voix à lui, mais la voix de l’Époux. Jean toutefois ne cachait pas publiquement aux peuples cette voix de l’Époux qu’il entendait secrètement.

3. C’est le bonheur dont Marie également avait fait choix, pendant qu’elle laissait sa sœur vaquer aux soins nombreux du service, pour demeurer assise aux pieds du Seigneur et entendre en repos sa parole. Si Jean était debout et Marie assise ; Marie n’en était pas moins debout dans son cœur et Jean assis dans son humilité, car l’attitude de Jean est le symbole de la persévérance, comme celle de Marie, l’indication de l’humilité. Pour vous convaincre que l’attitude de Jean désigne la persévérance, souvenez-vous que le démon ne persévéra point et qu’il est écrit de lui : « Il a été homicide dès le commencement et n’est point resté debout dans la vérité[3] ». Pour vous convaincre aussi que la position de Marie symbolise l’humilité, voici ce que dit un psaume à propos de la pénitence : « Levez-vous après avoir été assis, vous qui mangez le pain de la douleur[4] ». Pourquoi se lever après avoir été assis ? C’est que « celui qui s’humilie sera élevé[5] ». Maintenant, le Seigneur nous dira lui-même, en parlant de Marie assise à ses pieds et recueillant sa parole, quel bonheur il y a à l’entendre. Pendant que sa sœur était surchargée des préparatifs du service, elle se plaignait à Jésus même de n’être pas secondée par elle, et Jésus lui répondit : « Marthe, Marthe, à combien d’occupations tu te livres ! Il n’y a pourtant qu’une chose nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, laquelle ne lui sera point ôtée[6] ». Y avait-il du mal dans ce que faisait Marthe ? Eh ! qui de nous pourrait exalter suffisamment le mérite immense de donner l’hospitalité à des saints ? Mais s’il y a tant de mérite à être hospitalier envers les saints, quel mérite bien plus considérable à pratiquer cette vertu envers le Chef même des saints et ses principaux membres, envers le Christ et ses apôtres ? Vous tous qui aimez à exercer cette vertu, ne dites-vous pas, en entendant parler de ce que faisait Marthe : Oh ! qu’elle était heureuse, qu’elle était favorisée de recevoir le Seigneur même et d’avoir pour hôtes ses apôtres pendant qu’ils vivaient sur la terre ? Ne te décourage pourtant point de ne pouvoir, comme Marthe, accueillir dans ta demeure le Seigneur avec ses apôtres ; lui-même te rassure : « Ce que vous avez fait à l’un des derniers d’entre les miens, dit-il, vous me l’avez fait à moi[7] ». L’Apôtre donc nous prescrit quelque chose de bien grand, de bien important, quand il dit : « Partagez avec les saints qui sont dans le besoin, aimez à exercer l’hospitalité[8] ». Puis, louant cette vertu dans l’Épître aux Hébreux : « C’est elle, dit-il, qui a mérité à plusieurs d’abriter des anges à leur insu[9] ». Quel service magnifique ! quelle insigne faveur ! « Marie pourtant a choisi la meilleure part », en demeurant assise, en repos et en écoutant, tandis que sa sœur allait et venait, se fatiguait et pensait-il tant de choses.

4. Le Seigneur montre néanmoins ce qui rendait meilleure la part de Marie. Après avoir dit : « Marie a choisi la meilleure part », il ajoute aussitôt et comme pour répondre à notre désir d’en savoir la raison : « Laquelle ne lui sera point ôtée ». Que voir là, mes frères ? Si la raison pour laquelle la part de Marie est préférable, est que cette part ne lui sera point ôtée, il s’ensuit sûrement que l’autre

  1. Psa. 50, 10
  2. Jn. 3, 29
  3. Jn. 8, 44
  4. Psa. 126, 2
  5. Luc. 14, 11
  6. Luc. 10, 38, 42
  7. Mat. 25, 40
  8. Rom. 12, 13
  9. Heb. 12, 2