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aucune joie tant que nous sommes dans ce monde ; c’est que nous devons, dès maintenant, nous réjouir dans le Seigneur. Mais je suis dans le siècle, me dira-t-on ; si donc je me réjouis, ne dois-je pas me réjouir où je suis ? – Eh quoi ! s’ensuit-il que tu n’es pas dans le Seigneur ? Écoute l’Apôtre s’adressant aux Athéniens, lis dans les Actes de qu’il dit de Dieu, Notre Seigneur et Créateur : « Nous avons en lui la vie, le mouvement et l’existence[1] ». Où n’est-il pas en effet, puisqu’il est partout ? N’est-ce donc pas à la joie que nous invitent ces paroles : « Le Seigneur est proche, ne vous inquiétez de rien ? » C’est une chose admirable, sans doute, qu’élevé au-dessus de tous les cieux, il soit si proche de nous qui vivons sur la terre. Comment est-il d’ailleurs si loin et si proche de nous ? N’est-ce point parce que sa miséricorde l’en a rapproché ?

2. Il faut voir en effet le genre humain tout entier dans cet homme que les brigands laissèrent étendu et à demi-mort sur le chemin, près duquel passèrent, sans s’arrêter, le prêtre et le lévite, et dont le samaritain s’approcha pour lui donner ses soins et du secours. Comment le Sauveur fut-il amené à faire ce récit ? Quelqu’un lui ayant demandé quels étaient les premiers et les plus importants préceptes de la loi, il répondit qu’il y en avait deux : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, « et de tout ton esprit : Tu aimeras aussi ton prochain comme toi-même ». – « Qui est mon prochain ? » reprit l’interlocuteur. Le Seigneur rapporta alors qu’un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. C’était donc un Israélite. Il tomba au milieu des brigands, et ceux-ci l’ayant dépouillé et blessé grièvement, le laissèrent à demi-mort sur la route. Arriva un prêtre, un homme lié par le sang ; il passa et le laissa. Un lévite, un homme également uni par les liens du sang vint à passer aussi ; il le laissa encore sans s’occuper de lui. Arriva enfin un samaritain, un homme que rapprochait de lui, non pas le sang, mais la compassion ; il fit ce que vous savez[2]. Le Seigneur voulait se désigner dans la personne de ce samaritain. Samaritain en effet signifie gardien ; et si Jésus-Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus, si la mort ne doit plus avoir d’empire sur lui[3] » ; n’est-il pas écrit aussi que « le gardien d’Israël ne sommeille ni ne s’endort[4] ? » Que répondit-il enfin lui-même quand en le chargeant d’outrages et d’affreux blasphèmes, les Juifs lui dirent : « N’avons-nous pas raison de soutenir que tu es un samaritain et que tu es possédé du démon ? » il y avait dans ces mots deux injures. « N’avons-nous pas raison de soutenir que tu es un samaritain, et que tu es possédé du démon ? » Il aurait pu répondre : Je ne suis ni samaritain, ni possédé du démon. Il se contenta de dire : « Je ne suis pas possédé du démon[5] ». Ce qu’il dit était une réfutation ; ce qu’il tut, un assentiment. Il nia qu’il fût possédé du démon, car il savait comment il les chassait ; mais il ne nia pas qu’il fût le gardien de notre faiblesse. Ainsi « le Seigneur est proche », pour s’être rapproché de nous.

3. Qu’y a-t-il néanmoins, qu’y a-t-il de si distant, de si éloigné, que Dieu l’est des hommes ; l’Immortel, des mortels ; le Juste, des pécheurs ? Ce n’est pas l’espace, c’est la différence qui fait cet éloignement. Ne disons-nous pas chaque jour, en parlant de deux hommes dont les mœurs sont différentes Il y a loin de l’un à l’autre ? Fussent-ils rapprochés l’un de l’autre, leurs demeures fussent-elles voisines, fussent-ils attachés à la même chaîne, nous répétons qu’il y a loin du pieux à l’impie, de l’innocent au coupable, du juste à l’injuste. Or, si on parle ainsi quand il n’est question que des hommes, que dire quand il s’agit des hommes et de Dieu ? Si loin donc que fût l’Immortel, des mortels ; le Juste, des pécheurs, il est descendu parmi nous, afin d’en être aussi proche qu’il en était éloigné. Qu’a-t-il fait ensuite ? Il avait en lui-même deux biens immenses, et nous deux maux : lui, la justice et l’immortalité ; nous, l’injustice et la mortalité. S’il s’était chargé de nos deux maux, il serait devenu pareil à nous, et comme à nous il lui aurait fallu un Libérateur. Qu’a-t-il donc fait pour se rapprocher de nous, pour s’en rapprocher et non pour devenir tout ce que nous sommes ? Considère bien : il est juste et immortel ; et toi, coupable et châtié, tu es injuste et mortel. Afin donc de se rapprocher de toi, il s’est chargé de ta condamnation, et non de tes crimes ;

  1. Act. 17, 28
  2. Luc. 10, 25-37
  3. Rom. 6, 9
  4. Psa. 120, 4
  5. Jn. 8, 4, 8, 49