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l’ouvrier est si habile qu’il peut épurer sans rien perdre. Contemple le bienheureux Apôtre : C’est l’or dans le creuset de ce monde ; comme il est éprouvé au milieu des dangers ! Nous arrivons ainsi aux vases d’ignominie qui sont dans la grande maison, et dont le Seigneur sait faire bon usage. Que disait donc cet Apôtre au milieu des épreuves de tant de dangers ? « Périls sur mer, périls dans le désert, périls du côté de ma race, périls du côté des gentils. » Tous ces périls sont du dehors. En voici du dedans : «Périls de la part des faux frères [1] . » Je m’adresse donc à l’or divin, je m’adresse aux vases d’honneur, je m’adresse aux grains que l’on foule sur l’aire au milieu de la paille ; et qui que tu sois qui écoutes, non pas moi, mais Celui qui parle par moi, je te dis : Sois bon, souffre le méchant. Ne me demande pas : Qui est bon ? Qu plutôt je veux que tu me le demandes ; car si bon que tu sois, tu ne seras jamais exempt de tout mal ; ce qui fait dire avec une suprême raison. « Nul n’est bon que Dieu seul[2]. » Celui donc qui est bon de cette manière, c’est le Dieu qui fait tout ce qui est bon. Ainsi l’auteur de ce qui est bon, Dieu seul est bon : mais comment serait-il l’auteur de ce qui est bon, si nul ne l’était parmi les hommes ? L’homme est donc bon à un degré très-inférieur, qui pourtant le rapproche de Dieu ; et s’il ne l’était, le Seigneur ne dirait pas : « L’homme bon tire le bien du bon trésor de son cœur[3]. »
6. Sois donc bon et supporte le méchant. Sois bon simplement et supporte doublement le méchant. Bon à l’intérieur ; si tu ne l’es à l’intérieur, tu ne le seras point. Sois bon à l’intérieur ; mais supporte le méchant et au-dehors et au dedans. Au-dehors supporte l’hérétique, supporte le païen, supporte le juif ; au dedans supporte le mauvais chrétien : car les ennemis de l’homme sont « les gens de sa propre maison[4]. » Tu te fâches, tu t’indignes de souffrir près de toi beaucoup de méchants qui t’importunent, comme si le moment de vanner était déjà venu. Mais tu es sous le fléau, tu es encore sous le fléau, on foule encore Paire ; on y rassemble même encore les grains et les gerbes, puisque les gentils arrivent à la foi. T’imagines-tu que tu sois le seul froment sur l’aire ? Tu te trompes. Gémis sur l’aire pour être en joie dans les greniers. Les mauvais chrétiens font beaucoup de fautes. Les étrangers qui ne veulent pas devenir chrétiens y trouvent des occasions de s’excuser ; et quand on les exhorte à croire, ils répondent : Veux-tu que je ressemble à, un tel et un tel ? Ils les nomment. Il dit vrai quelquefois ; mais s’il ne peut trouver rien de véritable, est-il embarrassé d’inventer ? Or en ne craignant pas d’inventer, il inspire à un autre des soupçons contre ce qu’il ne voit pas. Et toi, parce que tu entends ces hommes parler ainsi et parce que tu connais peut-être de tes frères qui sont mauvais, tu dis en toi-même. Il a raison. « Périls de la part des faux frères. » Mais ne te décourage point ; sois ce que cherche ce païen ; sois bon chrétien et tu le convaincras de calomnie.
7. En voici un qui calomnie réellement ; il dit des bons du mal inventé et souvent on le croit. Que fait l’or ? de tous côtés c’est la paille et le feu. Rejette tes scories, non la foi ; sois plus pur, que l’épreuve même te le rende davantage : que ce calomniateur serve à enlever ce qui te souille, non à consumer ton or. Si tu succombes, tu te perds au milieu de la paille, et si tu te perds an milieu de la paille, tu n’étais pas de l’or, tu feignais d’en être. « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui [5]. » Quant à ces méchants dont tu rougis lorsque tu es au milieu des méchants de dehors, souviens-toi que, dans la grande maison où tu résides, ils ne sont pas des vases d’honneur, mais des vases d’ignominie. L’Apôtre te l’a appris. Suis maintenant la direction de Dieu même. S’il n’existait pas des méchants pour qui nous devons prier, nous dirait-on : « Priez pour vos ennemis ? »
Voudrions-nous donc avoir pour ennemis les bons ? Est-ce possible ? Tu n’auras point le bon pour ennemi, si tu n’es mauvais : et si tu es bon, tu n’auras pour ennemi que le méchant. « Priez pour vos ennemis ; » donc, ô bons, priez pour les méchants. Rentre en ton cœur, ô toi qui te purifies dans ce creuset. Si tu as pu dire : « Éprouvez-moi, Seigneur, et tentez-moi ; brûlez-moi les reins et le cœur, car j’ai devant les yens votre miséricorde ; » rentre donc en ton cœur. Tu dépends de Dieu, tu vas le prier : tu rencontres qui t’a blessé ; tu rencontres qui t’a opprimé ; tu rencontres qui t’a dépouillé ; tu rencontres qui t’a mis en prison ; allons ! rentre en ton cœur, considère ton Seigneur. D’un côté, ton ennemi méchant ; de l’autre, ton Seigneur bon. Ton méchant ennemi te fait du mal, prie pour ton ennemi, te dit ton Seigneur qui est bon. Placé entre ton

  1. 2 Cor. 11, 26
  2. Lc. 18, 19
  3. Id. 6, 4, 5
  4. Mic. 7, 6
  5. 2 Tim. 2, 19