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Voilà pourquoi l’Apôtre Paul, après avoir été « abattu comme persécuteur et s’être relevé prédicateur, écrivait : « J’étais inconnu de visage aux Églises de Judée qui étaient unies au Christ. « Seulement elles s’entendaient dire que celui qui les persécutait annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait alors de détruire, et à mon sujet, poursuivait-il, elles glorifiaient Dieu. » Ainsi donc sa joie ne venait pas de ce qu’on connaissait en lui un homme qui avait reçu la grâce, mais de ce qu’on bénissait Dieu qui la lui avait donnée. Aussi disait-il encore : « Si je plaisais aux hommes jusque-là, je ne serais point serviteur du Christ [1]. » Et pourtant il disait ailleurs : « C’est ainsi que moi-même je complais à tous en toutes choses. » On pourrait sans doute renouveler ici notre question. Mais qu’ajoute-t-il ? « Ne cherchant pas ce qui m’est avantageux, mais ce qui l’est au plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés[2]. » C’est la même pensée que dans ces mots du même Apôtre : « Et à mon sujet elles glorifiaient Dieu ; » et que dans ces autres du Sauveur : « Afin qu’ils glorifient votre Père qui est dans les Cieux. » Car c’est faire son salut, quand on voit les hommes faire le bien, que de glorifier Celui qui leur en accorde la grâce.
15. Restent deux questions : mais je crains soit d’être à charge à ceux qui ont assez, soit de manquer à ceux qui ont faim encore. Je me rappelle toutefois ce que j’ai déjà résolu et ce que je dois encore résoudre. Je dois, effectivement, examiner ce que signifie cette recommandation : « Que ta gauche ignore ce que fait ta droite ; » et, à propos de l’amour des ennemis, pourquoi les anciens semblent avoir eu la permission de les haïr, tandis qu’à nous il est ordonné de les aimer. Comment faire ? Si je traite ces questions en peu de mots, je pourrai n’être pas suffisamment compris ; et je crains, en développant davantage, que mon discours ne-vous soit plus à charge, que mon explication ; utile. Et pourtant, si vous ne comprenez pas assez, considérez-moi toujours comme votre débiteur, je m’engage à approfondir davantage ces problèmes dans une autre circonstance. Mais je ne dois pas aujourd’hui les passer entièrement sous silence. La main gauche désigne dans l’âme la convoitise charnelle, et la main droite, la charité toute spirituelle. D’où il suit que si en faisant l’aumône on a en vue quelques avantages temporels, on fait connaître à la gauche les œuvres de la droite. Si c’est au contraire avec une vraie charité et une conscience toute pure devant Dieu qu’on vient au secours du prochain, sans ambitionner autre chose que de plaire à Celui qui en impose le devoir, la gauche ignore ce que fait la droite.
16. Il est plus difficile de traiter et on ne saurait résoudre aussi vite la question de l’amour des ennemis. Tout en nous écoutant priez donc pour nous, et le Seigneur notre Dieu nous accordera peut-être bien vite ce que nous estimons si difficile à obtenir. Membres d’une même famille, nous puisons au même grenier ; et il est possible que ce que nous croyons enfermé bien avant, soit placé sur le seuil par Celui qui promet de nous exaucer, afin que nous puissions plus facilement distribuer à qui demande. Le Christ notre Seigneur a aimé réellement ses ennemis. Ne disait-il pas, lorsqu’il était suspendu à la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font [3] ? » Étienne l’imita au moment où on le lapidait. « Seigneur disait-il, ne leur imputez point cette faute[4]. » Si le serviteur a ainsi unité son Maître, quel serviteur pourra hésiter et croire que le Seigneur était seul capable d’un tel acte ? Ah ! si nous croyons que c’est trop pour nous de suivre l’exemple du Seigneur, imitons au moins celui qui n’est que serviteur comme nous, puisque nous avons été appelés à recevoir la même grâce. Pourquoi alors fut-il, dit aux anciens : « Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi ? » Peut-être eux aussi comprenaient-ils bien ces paroles ; mais dans l’économie des temps actuels nous le comprendrons mieux encore, grâce à la présence de Celui qui comprenait si bien ce qu’il fallait voiler ou découvrir à chacun. Effectivement, n’avons-nous pas un ennemi que rien ne nous oblige d’aimer ? Le diable est cet ennemi. Donc « tu aimeras ton prochain », l’homme ; « et tu haïras ton ennemi », le diable. Cependant il s’élève souvent des inimitiés entre les hommes ; car il en est dont l’infidélité donne prise intérieurement au démon, et qui deviennent même ses instruments quand il agit sur les fils de la défiance. Mais comme il peut se faire que l’homme renonce à sa méchanceté et qu’il s’attache au Seigneur, il faut aimer notre ennemi, prier pour lui et lui faire du bien, lors même qu’il est

  1. Gal. 1, 22, 23, 24, 10
  2. 1 Cor. 10, 33
  3. Lc. 23, 34
  4. Act. 7, 59