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disait : tu ne convoiteras pas. » Eh bien ! le voilà, ton ennemi, combats, affranchis-toi, rends-toi libre, étouffe cette pensée voluptueuse, anéantis cette impression coupable. Arme-toi de la loi, en avant, triomphe si tu le peux. Mais qu’est-ce que cette complaisance intérieure dans la Loi de Dieu que t’inspire déjà un commencement de grâce ? Tu vois dans tes membres une loi différente qui résiste à cette loi spirituelle et qui n’y résiste pas vainement, puisqu’elle te met sous le joug de la loi de péché. Voilà comment. la crainte te prive de l’abondance des divines douceurs. Mais si la crainte te prive de ces douceurs, comment te seront-elles communiquées généreusement si tu espères ? Crie sous la main de l’ennemi ; car si tu as un adversaire, tu as aussi un soutien qui attend que tu combattes pour seconder tes efforts, mais à la condition que tu espéreras en lui, puisqu’il déteste l’orgueil. Et que dire en criant ainsi sous la main de l’ennemi ? « Malheureux homme que je suis ! » Vous comprenez, vos acclamations me l’indiquent. Si donc il vous arrive de vous débattre sous la main de l’ennemi, criez ainsi, criez du fond du cœur, dites avec une foi éclairée : « Malheureux homme que je suis ! » Je suis malheureux, malheureux d’abord parce que je suis moi, malheureux ensuite parce que je suis homme : doublement donc malheureux ; car tout homme se tourmente vainement et s’égare au milieu des fantômes [1]. « Malheureux homme que je suis, « qui me délivrera du corps de cette mort ? » Est-ce toi ? Mais où sont tes forces ? Sur quoi repose ta présomption ? Ah ! tu cesses enfin, tu cesses de t’enorgueillir et non d’invoquer Dieu. Cesse ainsi de te vanter et crie. Dieu lui-même ne se tait-il pas en même temps qu’il crie ? Il se tait comme juge, mais il ne se tait pas comme législateur. Toi aussi cesse de t’élever, mais non de l’invoquer ; autrement Dieu pourrait te dire : « Je me suis tu, me tairai-je toujours[2] ? » Crie donc : « Malheureux homme que je suis ! » Avoue-toi vaincu, confesse ta faiblesse et dis : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » Qu’avais-je avancé ? Que la Loi effraie qui présume de soi. Voici un homme qui présumait de lui-même ; il a essayé de combattre, mais sans pouvoir vaincre ; au contraire il a été vaincu, terrassé, mis sous le joug, et dans les fers. Ainsi a-t-il appris à se confier en Dieu, et après avoir été effrayé par la Loi quand il présumait de lui-même, maintenant qu’il espère en Dieu il sera secouru par sa grâce. C’est ce qu’il exprime avec bonheur. « Qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur [3]. » Ah ! ressens maintenant sa douceur, goûte-la et la savoure, écoute ce psaume : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux[4]. » Pour toi il est devenu doux, mais après t’avoir délivré. Il était amer quand tu présumais de toi ; plonge-toi dans cette douceur, gage heureux de ce qui t’attend.
6. Les disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ étaient encore sous la loi et ils avaient besoin d’être encore purifiés et nourris, d’être encore réprimandés et redressés, car ils étaient sujets encore à la convoitise, quoique la Loi dise : « Tu ne convoiteras pas[5]. » Je ne veux pas blesser ces béliers sacrés, ces chefs du troupeau divin ; non je ne les blesserai point, car je ne dirai que la vérité, la vérité exprimée dans l’Évangile : ils disputaient à qui d’entre eux serait le plus grand ; et quoique le Seigneur fût encore avec eux sur la terre, l’ambition du premier rang les divisait et les agitait[6]. D’où venaient en eux ces mouvements, sinon du vieux levain, sinon de la loi des membres qui résistait en eux à la loi de l’esprit ? Ils cherchaient à monter, esclaves encore de la cupidité, et ils se demandaient qui d’entre eux serait le premier ; aussi un enfant vint-il confondre leur orgueil. Jésus en effet appela ce petit être afin d’abattre leurs prétentions superbes[7]. Aussi quand ils revinrent en s’écriant : « Seigneur, voilà qu’en votre nom les démons nous « sont soumis ; » comme c’était se réjouir de rien, qu’était en effet ce pouvoir comparé à ce que Dieu leur réservait ? le Seigneur, le bon Maître leur répondit, pour réprimer en eux l’esprit de crainte et y affermir la confiance : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous sont soumis. » Et pourquoi ? « Parce que beaucoup viendront en mon nom et diront : considérez qu’en votre nom nous avons chassé les démons ; et je leur répondrai : Je ne vous connais point[8]. » – « Ne vous réjouissez point de cela, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux. » Vous ne sauriez y être encore ; et pourtant vos noms y sont déjà : réjouissez-vous donc. Si j’ajoute que « vous n’avez encore rien demandé en mon nom ; » c’est que l’objet de vos vœux n’est rien comparé à ce que je me propose de vous

  1. Ps. 38, 7
  2. Is. 42, 14
  3. Rom. 7, 22-25
  4. Ps. 33, 9
  5. Exod. 20, 17
  6. Lc. 22, 24
  7. Mc. 9, 33-36
  8. Mt. 7, 22-23