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4. Je crois donc, mes frères, qu’en face de l’étonnante profondeur des Écritures, quand il y a dans ses paroles quelque mystère utile à dévoiler, il est bon pour mériter de le découvrir avec fruit, que nous cherchions ensemble avec foi. Demandons-nous alors pourquoi le Sauveur met la justice à retourner vers son Père, et non pas à être venu d’auprès de Lui. Serait-ce parce que la miséricorde l’ayant fait descendre parmi nous, c’est la justice qui le reconduit vers Dieu ? Nous apprendrions alors que nous ne pouvons être parfaitement justes, si nous sommes négligents à faire miséricorde, à nous occuper des intérêts d’autrui et non pas seulement des nôtres. Aussi bien, après avoir rappelé ce devoir, l’Apôtre cite aussitôt l’exemple du Seigneur. Voici ses paroles : « Rien par esprit de contention, ni par vaine gloire, mais par humilité d’esprit, chacun croyant les autres au-dessus de soi, et ayant égard, non à ses propres intérêts, mais à ceux d’autrui. » Il ajoute immédiatement : « Ayez en vous les sentiments qu’avait en lui le Christ Jésus. Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas que ce fût pour lui une usurpation que de s’égaler à Dieu. Cependant il s’est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur, ayant été fait semblable aux hommes et reconnu pour homme par les dehors ; il s’est humilié, étant devenu obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. » Telle est la miséricorde qui l’a amené du ciel. Où est maintenant la justice qui le reconduit vers son Père ? Continuons à lire : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père [1]. » Telle est la justice qui le reconduit vers son Père.
5. Mais s’il retourne seul vers son Père, quel avantage y avons-nous ? Comment le Saint Esprit peut-il condamner le monde à propos de cette justice ? D’un autre côté, s’il ne retournait pas seul vers son Père, il ne dirait pas ailleurs : « Nul ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel[2]. » Pourtant, l’Apôtre Paul dit encore «Car notre vie est dans les cieux[3]. » Comment ? Le voici : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dit le même Apôtre, recherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut et non les choses de la terre ; car, vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu [4]. » Comment donc dire que le Christ y est seul monté ? Serait-ce parce que le Christ avec tous ses membres ne fait qu’un, comme la tête ne fait qu’un avec le corps ? Et quel est le corps du Christ, sinon l’Église ? « Vous êtes, dit le même Docteur des gentils, le corps du Christ et les membres d’un membre[5]. » D’après cette interprétation, comme nous sommes tombés et que le Christ est descendu à cause de nous, ces mots : « Nul ne monte que celui qui est descendu », ne signifient-ils pas que personne ne peut parvenir au ciel qu’autant qu’il fait un avec lui et qu’il est comme un membre harmonieux de son corps ? C’est dans ce sens qu’il disait à ses disciples : « Sans moi vous ne pouvez rien faire[6]. » Car son union avec nous n’est pas la même que son union avec sont Père. Il est un avec son Père, parce que le Fils a la même nature que son Père ; il est un avec son Père, parce que « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en s’égalant à Dieu. » Mais il s’est fait un avec nous, parce qu’il s’est anéanti lui-même, prenant la nature de serviteur ; » il s’est fait un avec nous, en devenant ce rejeton d’Abraham en qui toutes les nations doivent être bénies. On sait qu’après avoir rappelé cette prophétie l’Apôtre observe ##Rem « Il n’est pas dit : Et aux rejetons, comme s’il y en avait plusieurs ; mais : Et à ton rejeton, comme s’il n’y en avait qu’un seul, et c’est le Christ. » Or, comme nous appartenons au Christ, comme nous lui sommes incorporés tous ensemble et unis étroitement comme à notre Chef, le Christ est réellement seul. Aussi l’Apôtre nous dit-il à nous-mêmes : « Vous êtes donc le rejeton d’Abraham, les héritiers selon la promesse[7]. » Mais, si Abraham n’a qu’un rejeton, si ce rejeton unique n’est que le Christ, et si nous sommes aussi nous-mêmes cet unique rejeton, ne s’ensuit-il pas que tous, et le Chef et le corps, nous ne formons qu’un Christ ?
6. C’est pourquoi nous ne devons pas nous considérer comme étrangers à cette justice dont parle le Seigneur en disant : « À cause de la justice, car je vais à mon Père. » Maintenant en effet nous sommes ressuscités avec le Christ notre chef et nous demeurons en lui par la foi et par l’espérance, en attendant que cette espérance

  1. Phil. 2, 3-11
  2. Jn. 3, 13
  3. Phil. 3, 20
  4. Col. 3, 1-3
  5. 1 Cor. 12, 27
  6. Jn. 15, 6
  7. Gal. 3, 16, 29