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SERMON CXXXVIII. L’UNITÉ DE L’ÉGLISE[1].

ANALYSE. – Il y a sans doute plusieurs bons pasteurs. Comment donc se fait-il que Jésus parle comme s’il était le seul bon Pasteur ? Remarquons d abord avec l’Écriture que le martyre même ne servant de rien sans la charité, on n’est pas bon pasteur pour avoir répandu son sang ; il faut l’avoir répandu par charité et conséquemment dans l’unité. Maintenant, si le Fils de Dieu, après avoir institué lui-même d’autres bons pasteurs, semble se dire le seul bon Pasteur, c’est pour nous apprendre que tous les autres doivent relever de lui et par conséquent vivre dans l’unité entre eux comme avec lui. Il est vrai ; les Donatistes citent un texte des Cantiques pour autoriser leur schisme. Mais premièrement ils ne le comprennent pas, puisque l’épouse dans ce texte demande à connaître quels sont les vrais pasteurs, les pasteurs embrasés de charité, et cela pour ne pas s’exposer à s’égarer sur les traces des pasteurs rebelles. Secondement, ce texte expliqué à la lettre, comme il doit l’être, est une condamnation manifeste des Donatistes. Ils sont obligés de l’altérer pour l’interpréter dans leur sens.


1. Nous venons d’entendre Notre-Seigneur Jésus nous prêcher les devoirs d’un bon pasteur et par conséquent nous avertir ainsi qu’il y a de bons pasteurs. Afin toutefois d’écarter de notre esprit toute idée fausse sur la pluralité des pasteurs, il ajoute : « Je suis le bon pasteur. » Comment est-il le bon pasteur ? Le voici : « Le bon pasteur, dit-il, donne sa vie pour ses brebis. Quant au mercenaire, quant à celui qui n’est pas réellement pasteur, il voit venir le loup et s’enfuit, parce qu’étant mercenaire il ne prend point souci des brebis. » Le Christ est donc le bon pasteur. Et Pierre ? N’est-il pas aussi bon pasteur ? Lui aussi n’a-t-il pas donné sa vie pour ses brebis ? Et Paul ? Et les autres Apôtres ? Et les bienheureux évêques martyrs qui leur ont succédé ? Et votre Saint Cyprien encore[2] ? Tous n’étaient-ils pas de bons pasteurs, au lieu d’être de ces mercenaires dont il est dit : « En vérité je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense[3] » ? Tous ces grands hommes étaient donc de bons pasteurs ; ce qui le prouve, ce n’est pas seulement qu’ils ont versé leur sang, c’est qu’ils l’ont versé en faveur de leurs brebis. Ce n’est pas l’orgueil, c’est la charité qui les a portés à le répandre.
2. On voit bien parmi les hérétiques des hommes qui pour avoir souffert quelques désagréments en faveur de leurs iniquités et de leurs fausses doctrines, se donnent vaniteusement le nom de martyrs et se parent de ce manteau pour ravir plus facilement, car ils ne sont que des loups. Voulez-vous savoir en effet ce qu’il faut penser d’eux ? Apprenez d’un bon pasteur, de l’Apôtre Paul, qu’il ne faut pas regarder comme ayant répandu leur sang pour leurs brebis, car c’est plutôt contre elles, tous ceux qui ont souffert jusqu’à même livrer leurs corps aux flammes. « En vain, dit-il, je parlerais les langues des Anges et des hommes, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. En vain je connaîtrais tous les mystères, j’aurais en vain toutes les lumières prophétiques et toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. » Quelle puissance que cette foi, capable de transporter les montagnes ! Quels dons aussi que ceux qui sont énumérés avant la foi ! Eh bien ! dit saint Paul, si je les possédais sans avoir la charité, sans doute ils ne perdraient rien de leur valeur, mais moi je ne serais rien. L’Apôtre néanmoins n’a pas atteint encore ceux qui dans les punitions qui leur sont infligées, se glorifient faussement d’être des martyrs. Voyez maintenant quel coup il leur porte, ou plutôt comment il les perce d’outre en outre. « En vain, dit-il, je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et je livrerais en vain mon corps pour être brûlé. » Voilà bien ces hommes. Et la suite du texte ? « Si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien[4]. » On va jusqu’à être tourmenté, on va jusqu’à répandre son sang, on va jusqu’à livrer son corps aux flammes ; mais cela ne sert de rien, parce qu’on n’a point la charité. Avec la charité tout profite ; rien ne profite sans la charité.
3. Que cette charité est donc un grand bien, mes frères ! Eh ! qu’y a-t-il de plus précieux, de plus glorieux, de plus ferme, de plus utile, de plus solide ? Dieu fait beaucoup de dons aux méchants eux-mêmes qui diront un jour. : « Seigneur, nous avons prophétisé en votre nom, en votre nom chassé les démons, opéré de nombreux prodiges en votre nom. » Le Seigneur ne répondra

  1. Jn. 10, 11-18
  2. Ce passage indique que ce discours a été prononcé sur le tombeau du grand Évêque de Carthage
  3. Mt. 6, 2
  4. 1 Cor. 13, 1-3