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n’y a parmi nous personne qui leur ressemble. Quels sont alors ceux qu’envisage le Sauveur quand il s’écrie : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux ? » et quand il ajoute : « Beaucoup me diront, en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom que nous avons fait beaucoup de miracles, et en votre nom que nous avons bu et mangé ? » Est-ce au nom du Christ que les Juifs font tout cela ? Il est évident toutefois qu’il ne s’agit ici que, de ceux qui portent le nom du Christ. Et que dit ensuite le Sauveur ? « Je leur déclarerai alors : Je ne vous ai jamais connus. Éloignez-vous de moi, vous qui opérez l’iniquité [1]. » Prête l’oreille aux gémissements que l’Apôtre répand sur eux. Les uns, dit-il, annoncent l’Évangile par charité, les autres par occasion, et ceux-ci « ne l’annoncent pas avec droiture[2]). » L’Évangile est droit, mais eux ne le sont pas. Ce qu’ils annoncent est droit, mais eux ne sont pas droits. Pourquoi ne sont-ils pas droits ? Parce qu’ils cherchent dans l’Église autre chose que Dieu et ne cherchent pas Dieu même. S’ils cherchaient Dieu, ils seraient purs, attendu que Dieu est le légitime époux de l’âme, et que chercher en Dieu autre chose que Dieu même, ce n’est pas le chercher purement. En voici la preuve, lues frères. Une épouse n’est pas pure, si elle aime son mari parce qu’il est riche ; ce n’est pas lui qu’elle aime alors, c’est plutôt son or. Mais si elle l’aime véritablement, elle l’aime jusque dans le dépouillement et l’indigence. En l’aimant parce qu’il est riche, que fera-t-elle, si par suite des vicissitudes humaines, il vient à être proscrit et jeté tout-à-coup dans la misère ? Il est possible qu’elle le quitte. Ce serait la preuve qu’elle ne l’aimait pas, mais qu’elle aimait son bien. Car si elle l’aimait réellement, elle l’aimerait plus vivement encore quand il tombe dans la pauvreté, puisque la compassion se joindrait en elle à l’amour.
10. Et pourtant, mes frères, notre Dieu ne saurait tomber jamais dans la pauvreté. Il est riche, c’est lui qui atout fait, le ciel et la terre, la mer et les Anges. Tout ce que nous voyons et tout ce que nous ne voyons pas dans le ciel, c’est lui qui l’a fait. Mais nous ne devons pas aimer ses richesses, nous devons l’aimer lui-même, lui qui en est l’auteur, car il ne t’a promis que lui. Montre-lui quelque chose de plus précieux que lui, et il te le donnera : La terre est belle, le ciel et les Anges sont beaux ; mais leur Créateur est plus beau encore. Ainsi donc ceux qui annoncent Dieu avec amour, ceux qui annoncent Dieu pour Dieu même, ceux-là sont de vrais pasteurs et non pas des mercenaires. Leur âme est pure, comme l’exigeait Notre-Seigneur Jésus-Christ quand il disait à Pierre : « Pierre, m’aimes-tu ? M’aimes-tu ? » C’est-à-dire : Es-tu pur ? N’as-tu pas un cœur adultère ? Est-ce tes intérêts et non pas les miens que tu cherches dans l’Église ? Ah ! si tu es pur, tu m’aimes, « pais mes brebis [3] ; » tu ne seras pas un mercenaire, mais un vrai pasteur.
11. Pour ceux qui excitent les gémissements de l’Apôtre, ils ne prêchaient pas l’Évangile avec pureté. Que dit néanmoins l’Apôtre ? « Mais qu’importe, pourvu que le Christ soit annoncé de quelque manière que ce puisse être, ou par occasion, ou par un vrai zèle[4] ? » C’était tolérer des mercenaires. Le pasteur annonce le Christ avec un vrai zèle, le mercenaire l’annonce par occasion et avec d’autres vues. Ils le prêchent toutefois l’un et l’autre. Écoute ce cri d’un vrai pasteur : « Pourvu, dit Paul, que le Christ, soit prêché, ou par occasion, ou par un vrai zèle ! » Ce bon pasteur laisse agir les mercenaires. Ils font le bien où ils peuvent, ils sont utiles autant qu’ils en sont capables. Avait-il, dans d’autres circonstances, besoin de quelqu’un qui pût servir de modèle aux faibles ? Il écrivait : « Je vous ai envoyé Timothée, pour vous rappeler mes voies[5]. » Qu’est-ce à dire ? Je vous ai envoyé un pasteur qui doit vous rappeler mes voies, parce qu’il se conduit comme je me conduis. Que dit-il encore de ce pasteur qu’il envoie ailleurs ? « Je n’ai personne qui me soit aussi intimement uni et qui s’inquiète pour vous avec une affection aussi sincère. » Mais n’avait-il pas avec lui beaucoup de disciples ? Lisez encore : « C’est que tous cherchent leurs intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ[6]. » En d’autres termes : J’ai voulu vous envoyer un pasteur, car il y a beaucoup de mercenaires, et if ne fallait pas vous en envoyer maintenant. – On peut dans d’autres occasions et pour d’autres affaires envoyer un mercenaire ; mais il fallait un pasteur pour ce que Paul avait en vue. Hélas ! il en trouve un à peine dans ce grand nombre de mercenaires ; c’est qu’effectivement il y a beaucoup de

  1. Mat. 7, 21-23
  2. Phi. 1, 17
  3. Jn. 21, 16
  4. Phi. 1, 18
  5. 1Co. 4, 17
  6. Phi. 2,20-21