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SERMON CXXXVI. AVEUGLEMENT DES JUIFS[1].

ANALYSE. – En guérissant l’aveugle-né et surtout en ouvrant son âme à la lumière de la vérité, le Sauveur faisait entendre qu’il était venu dissiper l’aveuglement des Juifs. Les Juifs prenaient la loi trop à la lettre et ils n’en connaissaient pas l’impuissance. Il a fallu que Jésus-Christ vînt en enseigner l’esprit et donner la vie aux hommes en se faisant homme comme eux. Heureux qui profite de son enseignement et de ses grâces !


1. Nous avons entendu, comme à l’ordinaire, cette lecture du saint Évangile ; mais il est bon de ranimer nos souvenirs et de les préserver de l’assoupissement qu’engendre l’oubli. D’ailleurs, ce passage que nous connaissons depuis si longtemps nous a fait autant de plaisir, que s’il eût été nouveau pour nous. Pourquoi vous étonner que le Christ ait fait voir la lumière à l’aveugle-né ? Le Christ est notre Sauveur ; il a accordé à cet homme, comme un bienfait, ce qu’il ne lui avait pas donné en le créant. Se méprenait-il alors en ne lui donnant pas des yeux ? Non, il voulait plus tard lui en donner miraculeusement. – Comment le sais-tu, demanderez-vous ? – Je l’ai appris de lui-même ; il vient de le dire encore et nous l’avons tous entendu. Ses disciples, en effet, lui ayant demandé : « Seigneur, qui a péché, celui-ci ou ses, parents, pour qu’il soit né aveugle ? » il répondit, comme vous venez de l’entendre avec moi : « Ni celui-ci n’a péché, ni ses parents ; mais c’est pour la manifestation en lui des œuvres de Dieu. » Voilà pour quel motif il avait différé de lui donner des yeux. Il ne lui en avait pas donné, parce qu’il devait lui en donner plus tard, parce qu’il savait qu’il lui en donnerait au moment opportun. Ne pensez pas, mes frères, que ses parents aient été sans péché ou qu’il n’ait pas lui-même contracté en naissant le péché originel, pour la rémission duquel on confère aux enfants le baptême destiné à effacer les péchés. Mais sa cécité ne fut l’effet ni du péché de ses parents, ni de son péché propre ; elle devait servir à manifester en lui les œuvres de Dieu. Aussi bien, quoi que nous ayons tous en naissant contracté la souillure originelle, nous rie sommes pas nés aveugles. Et toutefois en y regardant de près, nous sommes des aveugles de naissance. Qui de nous en naissant n’était aveugle, mais aveugle de cœur ? Créateur de l’âme et du corps, le Seigneur Jésus a guéri l’un et l’autre.
2. La foi vous a montré cet homme aveugle d’abord, puis voyant la lumière : vous l’avez vu aussi dans l’erreur. Son erreur consiste premièrement à regarder le Christ comme un prophète, à ignorer qu’il est le Fils de Dieu. Il a fait aussi une réponse certainement fausse lorsqu’il a dit : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs. » Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, quel espoir nous reste-t-il ? Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, pourquoi le prions-nous, pourquoi confessons-nous nos péchés en nous frappant la poitrine ? Que faire de ce Publicain qui monta au temple avec le Pharisien et qui se tenant éloigné et les yeux fixés à terre se frappait la poitrine et confessait ses péchés, pendant que le Pharisien vantait et étalait ses mérites ? Le Publicain pourtant, après avoir confessé ses fautes, sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien [2]. N’est-ce pas une preuve que Dieu exauce les pécheurs ? Mais l’aveugle en parlant ainsi ne s’était point encore lavé l’œil du cœur à Siloé. Déjà il s’était mis sur les yeux la boue mystérieuse ; mais la grâce n’avait point produit encore son effet dans le cœur. Quand se lava-t-il l’œil du cœur ? Quand après avoir été chassé par les Juifs il fut appelé par le Seigneur. Le Seigneur en effet le rencontra et lui dit : « Crois-tu au Fils de Dieu ? — Quel est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Il le voyait des yeux du corps ; le voyait-il des yeux du cœur ? Non ; mais attendez, il le verra bientôt. Jésus lui répondit effectivement : « C’est moi, moi qui te « parle. » Cet homme douta-t-il ? — À l’instant même il se lavait l’âme, puisqu’il communiquait avec Siloé, c’est-à-dire avec l’Envoyé. Et quel est l’Envoyé, sinon le Christ ? Lui-même l’a répété plusieurs fois. « Je fais, disait-il, la volonté de mon Père qui m’a envoyé[3]. » C’est ainsi qu’il est Siloé, et en s’approchant de lui, en l’écoutant, en le croyant, en l’adorant, cet aveugle se purifia le cœur et recouvra la vue.
3. Quant à ceux qui l’avaient expulsé, ils

  1. Jn. 9
  2. Luc. 18, 10-14
  3. Jn. 4, 34 ; 5, 30 ; 6, 38