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SERMON CXXVI. LE REGARD DU VERBE[1].

ANALYSE. – De ces paroles de Notre-Seigneur : « Le Fils ne peut faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père », les Ariens concluaient que le Verbe n’est pas égal à Dieu. Saint Augustin, pour les réfuter, précisera le sens de ces paroles. Mais auparavant il établit que la foi doit précéder et préparer l’intelligence ; que ce que nous voyons doit nous assurer de ce que nous ne voyons pas ; le spectacle de l’univers prouve l’existence de Dieu, et les miracles du Sauver démontrent sa divinité. Il suit delà que si plusieurs ne comprennent pas suffisamment l’explication qu’il va donner de la difficulté soulevée par les Ariens, ils n’en doivent pas être moins inébranlables dans la foi catholique. Que signifient les paroles citées ? Elles ne signifient pas que le Fils, après avoir vu son Père à l’œuvre, produit lui-même des ouvrages semblables, puisque les trois personnes de la sainte Trinité font en même temps toutes les œuvres attribuées à l’une d’entre elles. Que signifient-elles donc ? Il faudrait avoir une idée exacte de la nature du regard du Verbe. Nous connaissons en quoi consiste le regard de son humanité. Mais qu’est-ce que le regard de sa divinité et comment, entant que Dieu, voit-il son Père agir ? Comme la nature divine est très-simple, il est sûr que le regard du Verbe n’est pas différent de lui-même et que ces mots : « Le Fils ne peut faire que ce qu’il voit faire au Père », reviennent à ceux-ci : Le Fils n’existerait pas s’il ne naissait du Père.


1. Les mystères et les secrets du royaume de Dieu demandent qu’on les croie, avant de se révéler à l’intelligence. La foi conduit à l’intelligence, et l’intelligence est méritée par la foi. C’est ce que dit clairement un prophète à tous ces hommes qui cherchent à comprendre prématurément et désordonnément, sans s’inquiéter de croire. « Si vous ne croyez, leur crie-t-il, vous ne comprendrez pas[2]. » La foi est donc éclairée aussi ; elle l’est par les Écritures, par les prophètes, par l’Évangile, par les écrits des Apôtres ; et tous les témoignages qu’on nous en lit pour le moment sont comme autant de flambeaux qui luisent dans l’obscurité pour nous préparer au grand jour. Ainsi s’exprime l’Apôtre Pierre : « Nous avons la parole plus ferme « des prophètes, à laquelle vous faites bien d’être « attentifs, comme à une lampe : qui luit dans « un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour brille, et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs[3]. »
2. Vous voyez donc, mes frères, combien sont funestement et désordonnément pressés, ces esprits qu’on peut comparer aux embryons trop hâtifs qui cherchent à avorter avant de naître. Pourquoi, disent-ils, me commander de croire ce que je ne vois pas ? Fais-moi voir pour m’amener à croire. Tu m’ordonnes de croire sans que je voie ; pour moi je veux voir et croire ensuite, croire en voyant et non en écoutant. Mais voici le prophète : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas. » Quoi ! tu veux monter sans appui ! N’est-ce pas mal ? Ah ! si je pouvais, ô mon ami, te montrer et te faire voir, je ne t’engagerais plus à croire.
3. Aussi « la foi est-elle, selon la définition donnée ailleurs, le fondement de ce qu’on espère, la conviction de ce qu’on ne voit pas[4]. » – Si l’on ne voit pas, comment se convaincre ? – D’où vient ce que tu vois, sinon de ce que tu ne vois pas ? Tu vois une chose pour en croire une autre, et ce que tu vois te porte à croire ce que tu ne vois pas. Ne sois pas ingrat envers Celui qui t’a accordé la vue ; car cette vue te mène à croire ce que tu ne saurais voir encore. Dieu a donné des yeux à ton corps, et la raison à ton âme ; éveille cette raison, elle est en quelque sorte enfermée dans l’œil intérieur de l’âme, qu’elle vienne à la fenêtre pour contempler les créatures de Dieu. Oui, il faut en nous quelque chose afin que nous puissions voir par l’organe de la vue. Si tu es devant moi absorbé dans tes pensées, n’est-il pas vrai que ton esprit distrait ne saurait voir ce qui est sous tes yeux ! En vain la fenêtre est ouverte, quand le spectateur est absent. Il est donc bien vrai que ce ne sont pas les yeux qui voient, mais quelqu’un qui s’en sert. Éveille ce quelqu’un, presse-le. Ah ! tu n’es point déshérité : Dieu a fait de toi un animal raisonnable, il t’a mis au-dessus des autres animaux et formé à sa propre image, Dois-tu alors voir simplement comme voient les animaux, pour nourrir le corps, et non pour éclairer l’âme ? Ouvre donc l’œil de la raison, regarde en homme, contemple le ciel et la terre, les beautés du ciel et la fécondité de la terre, le vol des oiseaux, les poissons qui nagent, les végétaux qui poussent et les saisons qui se succèdent avec tant d’ordre ; contemple ces œuvres et cherche à en connaître l’auteur ; regarde ce que tu vois et cherche Celui que tu ne vois pas. À cause de ces œuvres que tu vois, crois en lui quoique tu ne le voies pas. Si tu ne voulais pas

  1. Jn. 19
  2. Isa. 7, 9 sel. LXX
  3. 2Pi. 1, 19
  4. Heb. 11, 1