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avoir guéri notre malade, il lui dit d’emporter son grabat et d’aller chez lui. Il en dit autant au paralytique, après l’avoir rendu à la santé [1]. Mais qu’est-ce qu’emporter son grabat ? N’est-ce pas rejeter les voluptés charnelles où nous gisons malades comme dans un lit ? Or quand on est guéri, on maîtrise et on dompte sa chair, au lieu d’être maîtrisé par elle. Toi donc qui es en bonne santé, surmonte la fragilité de la chair, accomplis le jeûne de quarante jours en renonçant au siècle, tu atteindras ainsi la quarantaine avec cet heureux malade, guéri par celui qui n’est pas venu abroger, mais achever la loi.
11. Après avoir entendu ces réflexions ; élevez vos cœurs vers Dieu. Né vous faites pas illusion. Examinez-vous quand le monde vous sourit, examinez alors si vous ne l’aimez pas, et apprenez à le quitter avant qu’il vous quitte. Qu’est-ce que le quitter ? C’est ne l’aimer pas véritablement. Pendant que tu tiens encore ce qu’il te faudra quitter ou pendant la vie ou au moment de la mort, car tu ne saurais le garder toujours, détaches-en ton cœur, sois prêt à tout ce que te demandera la volonté divine, tiens-toi comme suspendu à Dieu, tiens-toi uni à Celui que tu ne saurais perdre malgré toi, et s’il t’arrive d’être dépouillé de ces choses temporelles, tu pourras dire : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, il a été fait : Que le nom du Seigneur soit béni[2]. » S’il arrive au contraire, si Dieu veut que tu conserves ces biens, jusqu’à la fin de ta vie, une fois sorti des liens de ce monde, tu recevras le denier de la cinquantaine, tu parviendras au parfait bonheur. Et tu ne cesseras de chanter le céleste Alleluia Ne perdez pas de vue ce que je viens de vous rappeler et que ce souvenir vous empêche d’aimer le siècle. Cette amitié est funeste, trompeuse et provoque l’inimitié de Dieu. Il suffit, hélas ! d’une tentation à l’homme pour offenser Dieu et pour devenir son ennemi, ou plutôt pour montrer qu’il l’était. Car il l’était, quand il le louait et croyait l’aimer, mais c’était à son insu et à l’insu d’autrui. Une tentation est survenue, touchez le pouls, vous constatez la fièvre. Ainsi, mes frères, l’amitié et l’affection du monde nous rendent ennemis de Dieu. De plus, ce monde ne donne jamais ce qu’il a promis, c’est un menteur et un trompeur. Est-ce pour ce motif qu’on ne cesse d’espérer en lui ? Mais qui obtint jamais tout ce qu’il en attend ? Et quoi que l’on ait obtenu, bientôt on le méprise, pour commencer à désirer avec ardeur, à espérer d’autres choses. Celles-ci encore ne sont pas plus tôt arrivées qu’on les dédaigne encore. Attache-toi donc à Dieu : jamais il ne perd rien de ses charmes, parce que sa beauté est sans égale. Si les biens du monde se flétrissent si vite, c’est qu’ils n’ont rien de stable, c’est qu’ils ne sont pas Dieu, c’est qu’il ne te faut rien moins, ô âme humaine, que Celui qui t’a créée à son image. Aussi fut-il dit avec raison : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit[3]. » Là seulement se trouve la sécurité et avec elle un rassasiement en quelque sorte insatiable. Ce rassasiement en effet ne fera dire jamais : c’est assez ; jamais non plus rien ne manquera dont on puisse ressentir le besoin.

  1. Mrc. 2, 11
  2. Job. 1, 21
  3. Jn. 14, 8