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Mais Dieu sait, répliques-tu, que je ne me rends point coupable en possédant ce que j’ai. La tentation le montrera : On te conteste ta propriété, et tu blasphèmes ! Nous avons été soumis, il y a peu de temps, à de semblables épreuves. Donc on te conteste ta propriété, et – tu né te montres plus le même qu’auparavant ! tu ne parles même plus comme tu parlais la veille ! Encore si tu te contentais de défendre même avec bruit ce qui t’appartient, sans faire effort pour usurper audacieusement le bien d’autrui, et ce qui est pire, sans recourir, pour échapper aux poursuites, au moyen de revendiquer comme ton bien ce qui n’est pas à toi. Est-il nécessaire d’en dire davantage ? Ce sont, mes frères, ce sont des avis et des avis maternels, que je vous donne. Dieu me le commande ; et je vous les transmets ; car ils me sont donnés comme à vous. La parole de Dieu m’effraie, elle ne me permet pas de garder le silence. Dieu réclame ce qu’il m’a donné ; il me l’a donné pour le distribuer, et si je le cachais pour le conserver, il me dirait bientôt : « Mauvais et paresseux serviteur, pourquoi n’as-tu pas donné mon argent au banquier ? En venant aujourd’hui je le redemanderais avec les intérêts [1]. » Et que me servira de n’avoir rien perdu de ce qui m’a été confié ? Ce n’est pas assez pour mon Maître, car il est avare mais avare pour notre salut. Oui, il est avare, partout il recherche ses deniers, il rassemble ce qui porte son image. « Tu devais, dit-il ; donner cet argent aux banquiers, et en venant aujourd’hui je le redemanderais avec les intérêts. » Quand même d’ailleurs, j’oublierais de vous prévenir, les épreuves et les calamités que nous subissons ne seraient-elles pas pour vous un avertissement ? Mais vous entendez la parole de Dieu. Que le Seigneur en soit béni, lui et sa gloire. Je vous vois réunis et suspendus aux lèvres de celui qui nous la dispense au nom du ciel. Ne faites pas attention à l’organe extérieur qui vous la distribue ; les affamés ne s’occupent-ils pas plutôt de la bonté des aliments que du peu de valeur du vase où ils leur sont présentés ? Dieu vous éprouve, et réunis ici, vous entendez sa parole. Mais l’épreuve même fera connaître quelles sont vos dispositions ; il vous surviendra des affaires qui montreront ce que vous êtes. Tel outrage Dieu bruyamment aujourd’hui, qui l’écoutait hier avec plaisir. Pour ce motif donc, mes frères, je vous avertis d’avance, je vous dis et je vous répète que le moment de l’examen viendra. « Le Seigneur, dit l’Écriture, examinera le juste et l’impie. » Ne venez-vous pas de chanter, n’avons-nous pas chanté ensemble : « Le Seigneur examine le juste et l’impie ? » Qu’est-il dit ensuite : « Mais celui qui aime l’iniquité hait son âme [2] ? » Ailleurs encore nous lisons : « L’impie sera interrogé sur ses pensées[3]. » Ainsi Dieu n’interroge pas comme je t’interroge. J’interroge ta parole, et Dieu interroge ta pensée. 2 sait avec quelles dispositions tu m’écoutes, il sait également avec quelle rigueur il réclamera ce qu’il m’oblige de distribuer. Il veuf que je distribue, mais il se réserve de faire rendre compte. À nous d’avertir, d’enseigner, de rependre mais non pas de sauver et de couronner, ni de condamner ni de jeter dans les tourments. C’est le juge qui livrera le coupable au bourreau, et celui-ci le jettera en prison. « En vérité, je te le déclare, tu n’en sortiras pas que tu n’aies payé jusqu’au dernier quart d’un as[4]. »
9. Revenons à notre sujet. La perfection de la justice est figurée parle nombre quarante. Qu’est-ce qu’accomplir ce nombre ? C’est s’abstenir de l’amour du siècle ; et s’abstenir des choses temporelles pour éviter de les aimer d’une manière dangereuse, c’est en quelque sorte jeûner. Aussi le Seigneur, Moïse et Élie ont jeûné quarante jours[5]. Si le Seigneur a donné à ses serviteurs de pouvoir jeûner quarante jours, ne pouvait-il en jeûner lui-même quatre-vingts et même cent ? Pourquoi n’a-t-il pas voulu jeûner plus longtemps qu’eux, sinon parce que le nombre quarante est la figure mystérieuse du jeune dont nous parlons, du renoncement au siècle ? En quoi consiste ce renoncement ? Dans ce que dit l’Apôtre : « Le monde est pour moi un crucifié et je suis un crucifié pour le monde[6]. » Ainsi se réalise en lui la signification du nombre quarante. Mais enfin que prétend le Seigneur ? Moïse et Élie ayant jeune autant que le Christ, la loi et les prophètes publient le même enseignement que l’Évangile, et l’on ne doit pas voir dans celui-ci le contraire de ce que renferment les prophètes et la loi. Toutes les Écritures en effet ne recommandent que de renoncer à l’amour du siècle, afin de faire prendre à notre amour son essor vers Dieu. Cette espèce de jeûne est figurée dans la loi par le jeune de Moïse durant quarante jours ; dans les prophètes, par le jeûne

  1. Luc. 19, 23
  2. Psa. 10, 6
  3. Sag. 1, 9
  4. Mat. 5, 25-26
  5. Mat. 4, 2 ; Exo. 34, 28 ; 1Ro. 19, 8
  6. Gal. 6, 14