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le Seigneur, s’ils n’avaient une grande foi ; et pourtant si cette foi était parfaite, ils ne diraient pas au Seigneur : « Accroissez en nous la foi[1]. » Considérez ce double aveu, cette foi qui existe réellement, mais sans être parfaite, dans la bouche de ce père qui vient de présenter son fils au Seigneur pour qu’il le délivre du démon : interrogé s’il a la foi : « Je crois, Seigneur, répond-il ; aidez mon incrédulité[2]. » – « Je crois, je crois, Seigneur », il a donc la foi. Mais « aidez mon incrédulité : » sa foi n’est donc pas encore parfaite.
2. Cette foi n’étant pas pour les orgueilleux, mais pour les humbles, le Seigneur« dit cette parabole pour quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes comme étant justes et méprisaient les autres : Deux hommes montèrent au temple pour y prier, un pharisien et un publicain. Le pharisien disait : Je vous rends grâces, ô Dieu, de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes. » Il devrait dire au moins, comme beaucoup d’hommes. Que signifie « comme le reste des hommes », sinon comme tous les autres hommes, excepté lui ? Je suis donc juste », dit-il, les autres sont des pécheurs. « Je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont injustes, voleurs, adultères [3]. » Voici près de toi un publicain qui te donnera lieu de t’enfler davantage encore. « Comme ce publicain », dit-il. Il fait partie du grand nombre, moi je suis seul de mon espèce. Je ne lui ressemble pas, grâces à mes œuvres de justice, qui me préservent de toute iniquité. « Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède. » Que demande-t-il donc à Dieu ? Qu’on examine ses paroles, et on ne le trouvera pas. Il est monté pour prier ; mais au lieu de prier Dieu, il se loue. Il ne lui suffit pas même de ne pas prier et de se louer, il insulte celui qui prie.« Le publicain se tenait éloigné », mais il était près de Dieu ; les remords de sa conscience l’écartaient de Dieu, mais sa piété l’attachait à lui. « Le publicain se tenait éloigné ; » mais Dieu le regardait de près ; car le Seigneur est grand et il abaisse ses regards sur les humbles, tandis qu’il ne voit que de loin les orgueilleux, tel que ce pharisien ; il voit de loin ces orgueilleux[4], mais il ne les oublie pas. Considère encore l’humilité du publicain. Peu content de se tenir éloigné, « il « ne levait pas même ses yeux au ciel. ». Pour être regardé, il ne regardait pis ; il n’osait, regarder en haut ; sa conscience le chargeait, mais l’espérance le soulevait. Vois encore : « Il se frappait la poitrine », il se punissait lui-même ; aussi le Seigneur pardonnait-il à son aveu. « Il se frappait la poitrine en disant : Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur. » Voilà un homme qui prie. Qu’y a-t-il d’étonnant que Dieu lui pardonne, puisqu’il se reconnaît si bien ? Après avoir prêté l’oreille à la plaidoirie du Pharisien et du Publicain, écoute la sentence. Après avoir vu l’orgueil dans l’accusateur, l’humilité dans l’accusé, écoute le Juge. « En vérité je vous le déclare. » C’est la Vérité, c’est Dieu, c’est le Juge qui parle. « En vérité je vous le dis, ce publicain sortit du temple justifié, plutôt que le pharisien. »
Pourquoi, Seigneur ? Je vois le Publicain, plutôt que le Pharisien, sortir du temple justifié. Pourquoi ? – Pourquoi ? Le voici : « Quiconque en effet s’exalte sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté. » Tu viens d’entendre la sentence, prends donc garde de te jeter dans une mauvaise affaire ; autrement : Tu viens d’entendre la sentence, prends garde à l’orgueil.
3. Qu’ils ouvrent les yeux maintenant, qu’ils prêtent l’oreille ces moqueurs impies, ces hommes qui présument de leurs propres forces et qui disent : Dieu m’a fait homme, mais je me suis fait juste. N’est-ce pas être pire et plus détestable que le Pharisien ? Le Pharisien dans son orgueil se disait juste, néanmoins il rendait grâces à Dieu de sa justice. Il se disait juste, mais il rendait grâces à Dieu. « Je vous rends grâces, ô Dieu, de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes. » – « Je vous rends grâces, ô Dieu.: » il remercie Dieu de n’être pas comme les autres hommes, et toutefois il est blâmé de son orgueil et de son enflure : sa faute n’est pas d’avoir rendu grâces à Dieu, mais de s’être regardé comme n’ayant plus besoin de rien. « Je vous rends grâces de ce que je suis pas comme les autres hommes, qui sont injustes. » Tu es donc juste, toi ; et c’est pourquoi tu redemandes rien : tu es donc parfait, et la vie humaine n’est plus une épreuve sur la terre [5] ; tu es donc parfait, tu es riche et tu n’as plus besoin de dire : « Pardonnez-nous nos offenses[6]. » Or, si l’on est coupable pour rendre grâces avec orgueil, que ne mérite-t-on pas en attaquant la grâce avec impiété ?
4. Après cette plaidoirie et cet arrêt, il se présente ou plutôt on apporte de petits enfants et on les présente au Sauveur pour qu’il daigne les toucher.

  1. Luc. 17, 5
  2. Mrc. 9, 23
  3. Luc. 17, 5
  4. Psa. 137, 6
  5. Job. 7, 1
  6. Mat. 6, 12