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ton âme en cet état, car c’est à l’intérieur, c’est dans le cœur que sont ces sortes de maux, fais-lui d’abord l’aumône, donne-lui du pain. Quel pain ? Si le Pharisien le demandait au Seigneur, le Seigneur lui répondrait : Fais l’aumône à ton, âme. C’est bien cela qu’il a dit d’abord ; mais le Pharisien ne comprenait même pas, quoique le Sauveur énuméra les aumônes qu’il faisait avec ceux de sa secte, et qu’il croyait inconnues au Christ. C’est comme si le Seigneur eût dit : Je sais ce que vous faites ; vous donnez la dîme de la menthe, de l’an et, du cumin et de la rue ; mais je parle d’une autre sorte d’aumônes : vous méprisez la justice et la charité. Fais, avec justice et avec charité, l’aumône à ton âme. Qu’est-ce à dire, avec justice ? Regarde, découvre la vérité ; condamne-toi, prononce contre toi. Et qu’est-ce que la charité ? Aime le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ; aime aussi ton prochain comme toi-même [1] ; ce sera d’abord faire miséricorde à ton âme, porter la compassion dans ta conscience. Mais si tu négliges de faire cette aumône, donne d’ailleurs ce que tu veux Et autant qu’il te plaît, détourne de tes récoltes, non pas la dîme, mais la moitié ; donne les neuf dixièmes en ne t’en réservant qu’un, c’est ne rien faire, tant que tu ne fais rien – pour toi et qu’intérieurement tu restes pauvre. Nourris ton âme, pour ne la laisser pas mourir de faim. Donne-lui du pain. – Quel pain ? reprend le Pharisien. – Celui qui te parle. Ah ! si tu l’écoutais, si tu le comprenais, si tu croyais au Seigneur, lui-même te dirait : « Je suis le pain vivant descendu du ciel[2]. » Ne commencerais-tu pas alors par donner ce pain à ton âme et par lui faire l’aumône ? Si donc tu as la foi, tu dois le montrer en nourrissant ton âme d’abord. Crois véritablement au Christ, et à l’intérieur comme à l’extérieur tout sera pur en toi. Tournons-nous vers le Seigneur, etc[3].


SERMON CVII. DE L’AVARICE[4].

ANALYSE. – Il est ici question, non pas de l’avarice qui consiste à s’approprier le bien d’autrui, mais de l’avarice qui s’attache à conserver avec passion son sien propre. En refusant d’établir le partage qui lui est demandé, Jésus-Christ condamne cette seconde espèce d’avarice. À quoi bon entasser d’inutiles biens dont là mort doit bientôt nous dépouiller ? Cet attachement aux richesses peut d’ailleurs porter à faire bien du mal et les petits et les grands. Ah ! ne tenons pas tant à nos biens et unissons-nous étroitement à Jésus-Christ, dont nul ne saurait nous dépouiller.''


1. Vous qui craignez Dieu, je ne doute pas que vous n’écoutiez sa parole avec crainte et que vous ne l’accomplissiez avec joie, afin d’espérer, pour l’obtenir ensuite, l’objet de ses promesses. Nous venons d’entendre le Seigneur ; d’entendre Jésus-Christ, le Fils de Dieu, nous intimer un ordre. Cet ordre vient de la Vérité même, de la Vérité quine trompe ni ne se trompe : écoutons, craignons, soyons sur nos gardes. Quel est cet ordre ? « Je vous le dis, abstenez-vous de toute avarice. » Pourquoi « de toute avarice ? » Pourquoi « toute ? » Pourquoi avoir ajouté ce mot ? Le Sauveur aurait pu dire en effet : évitez l’avarice ; mais il a voulu ajouter : « Toute », et dire : « Abstenez-vous de toute avarice. »
2. En nous faisant connaître la circonstance qui lui a donné lieu de parler ainsi, le saint Évangile nous explique pourquoi cette addition. Quelqu’un, en effet, en avait appelé à lui contre son propre frère, qui s’était approprié tout le patrimoine, sans vouloir céder à son cohéritier la part qui lui revenait. Voyez combien était juste la cause de cet appelant. Il ne cherchait pas à usurper le bien d’autrui, il réclamait seulement ce que lui avaient laissé ses parents, et il le réclamait par l’intermédiaire et d’après la sentence du Seigneur lui-même. Son frère était injuste, mais contre l’injustice de ce frère il invoquait un juge plein de justice. Pour soutenir une cause aussi bonne que la sienne, devait-il ne profiter pas de la présence de ce Juge ? Qui d’ailleurs pourrait inviter son frère à restituer ce qu’il lui devait, si le Christ ne le faisait en personne ? Le Christ était-il un juge que pussent corrompre les présents de ce frère enrichi par

  1. Mat. 22, 37-39
  2. Jn. 6, 41
  3. Voir ci-dessus, Serm. I
  4. Luc. 12, 13-21