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son champ, nous devions vous rappeler ces vérités, semer, planter, arroser, creuser même autour de certains arbres et y mettre de l’engrais. Notre devoir est de vous donner avec fidélité ; le vôtre, de recevoir fidèlement ; et c’est au Seigneur de nous aider, nous à travailler, vous à croire, tous à souffrir et en même temps à vaincre le monde avec sa grâce. Maintenant donc que j’ai rappelé vos obligations je veux aussi parler des nôtres. Peut-être néanmoins que quelques-uns d’entre vous jugent inutile ce dessein et qu’ils se disent en eux-mêmes. Ah ! si plutôt il nous renvoyait ? Il nous a entretenus de ce qui nous regarde ; que nous importe ce qui le concerne ? Mais je crois, mes frères, que la charité mutuelle qui nous unit demande plutôt que nous ne soyons pas étrangers. Vous ne faites tous qu’une seule famille, et nous tous qui vous distribuons les dons de Dieu, ne faisons-nous point partie de cette même famille, n’obéissons-nous, pas au même Chef ? Est-ce d’ailleurs de mon bien que je vous donne ? N’est-ce pas du sien et ne m’en fait-il point part à moi-même ? Si je vous donnais de ce qui est à moi, je vous enseignerais le mensonge, puisque le menteur parle de son propre fonds [1]. Ainsi donc vous devez entendre ce qui concerne les dispensateurs de la parole sainte, afin que vous vous félicitiez, si vous en rencontrez de bons, afin aussi que vous vous instruisiez de leurs obligations. Combien en effet je vois parmi vous de dispensateurs futurs ! Nous étions où vous êtes ; si l’on nous voit aujourd’hui distribuer, du haut de cette chaire, les aliments spirituels aux serviteurs de notre commun Maître, il y a peu d’années encore que placé en bas nous recevions avec eux les mêmes aliments sacrés. Évêque, je parle à des laïques ; mais je sais à combien de futurs évêques je parle.
4. Examinons quel sens donner aux prescriptions faites par le Seigneur aux disciples qu’il envoyait prêcher l’Évangile ; mais ne perdons pas de vue que la moisson était toute prête. « Ne portez, leur dit-il, ni bourse, ni sac, ni, chaussures, et dans le chemin ne saluez personne. En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison. Et s’il s’y trouve un fils de la paix, elle reposera sur lui ; sinon elle vous reviendra. » Sera-t-elle perdue pour eux, si elle ne leur revient point ? Ah ! loin des âmes saintes une interprétation semblable ! Il ne faut donc pas prendre ces paroles à la lettre ; ni conséquemment ce qui est dit de la bourse, des chaussures, du sac ; moins encore la défense de saluer personne en chemin, ce qui, pris à la lettre et sans examen, semblerait nous commander l’orgueil.
6. Considérons Notre-Seigneur ; il est à la fois notre vrai modèle et notre soutien. Notre soutien : « Sans moi, dit-il, vous ne pouvez rien faire. » Notre modèle : « Le Christ a souffert pour nous, dit saint Pierre, vous servant de modèle, afin que vous marchiez sur ses traces [2]. » Or Notre-Seigneur lui-même, étant en voyage, avait une bourse et il la confiait à Judas. Sans doute il avait affaire à un voleur[3] ; mais je désire m’instruire auprès de mon Seigneur lui-même. Vous aviez, Seigneur, affaire à un voleur ; mais aussi pourquoi possédiez-vous matière à vol ? Je ne suis qu’un homme faible et misérable, et vous m’avez averti de ne point porter de bourse ; mais vous en aviez une et vous pouviez être volé, car si vous n’en aviez pas eu, ce malheureux n’aurait pu volis l’enlever. – Ne faut-il donc pas que le Seigneur me réponde ici : Comprends bien ce que signifient ces mots : « Ne portez point de bourse ? » Qu’est-ce qu’une bourse, sinon de l’argent enfermé, ou la sagesse que l’on tient cachée ? Que signifie donc : « Ne portez pas de bourse ; » sinon : Ne soyez pas sages pour vous-mêmes ? Recevez le Saint-Esprit ; mais dans ton âme il doit être une source jaillissante et non une bourse, ce qui se donne et non ce qui s’enferme. Le sac aussi est une espèce de bourse.
7. Mais les chaussures ? Les chaussures qui nous servent, sont des cuirs d’animaux morts qui nous préservent les pieds. L’obligation de ne porter pas de chaussures est ainsi l’obligation de renoncer aux œuvres mortes. C’est à quoi Moïse était invité, lui aussi, d’une manière figurée, quand le Seigneur lui disait : « Ôte la chaussure de tes pieds ; car le lieu où tu es debout est une terre sainte[4]. » Est-il terre aussi sainte que l’Église de Dieu ? Restons-y donc debout, ôtons-y nos chaussures, c’est-à-dire renonçons aux œuvres de mort, Quant à ces chaussures avec lesquelles nous marchons, Notre-Seigneur sait encore consoler ma faiblesse : Eh ! s’il n’en avait pas eu lui-même, Jean aurait-il dit de lui : « Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa chaussure ?[5] » Ainsi obéissons, plutôt que de nous laisser gagner par la dureté et par l’orgueil. Moi, dit celui-ci,

  1. Jn. 8, 44
  2. 1Pi. 2, 21
  3. Jn. 12, 6
  4. Exo. 3, 6
  5. Luc. 3, 16