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SERMON XCVIII. LES MORTS SPIRITUELS[1].

ANALYSE. – Tous les miracles de Notre-Seigneur ont un sens caché que tous malheureusement ne comprennent pas, et si des résurrections nombreuses qu’il a opérées durant le cours de sa vie il n’est fait mention que de trois dans l’Évangile, est que ces trois résurrections sont une image de la résurrection spirituelle de tous les pécheurs. Quelques-uns en effet n’ont fait que consentir au péché ; d’autres ont uni l’action extérieure au consentement ; d’autres enfin sont écrasés sous le poids des habitudes coupables. Les premiers sont représentés par la fille du prince de Synagogue, que Jésus ressuscita dans la chambre même où elle venait d’expirer ; les seconds par le fils de la veuve de Naïm, qui était déjà, sorti de sa demeure, et que l’on portait eu terre ; les troisièmes enfin, par Lazare, déjà couvert de la pierre sépulcrale, et enseveli depuis quatre jours. Ces quatre jours signifient les quatre degrés par lesquels on descend dans le tombeau des habitudes coupables.


1. Les miracles de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ font des impressions, mais des impressions bien diverses, sur tous ceux qui en entendent le récit et qui y ajoutent foi. Les uns s’étonnent de ces prodiges corporels, mais sans y voir rien de plus grand ; d’autres, au contraire, contemplent avec plus d’admiration encore dans les âmes les merveilles qu’ils voient se produire dans les corps. Le Seigneur ne dit-il pas lui-même « De même que le Père réveille les morts et leur rend la vie ; ainsi le Fils donne la vie à qui il veut ?[2] » Ce n’est pas que le Fils ressuscite des morts que ne ressuscite point le Père ; le Père et le Fils ressuscitent les mêmes puisque le Père fait tout par le fils ; mais c’est pour le Chrétien une preuve indubitable qu’aujourd’hui encore il ressuscite des morts. Mais, hélas ! si chacun à des yeux pour voir des morts ressusciter à la manière dont est ressuscité le fils de la veuve dont il vient d’être question dans l’Évangile, il n’y a pour voir les résurrections du tueur que ceux dont le cœur est ressuscité déjà. Il est plus grand de ressusciter pour vivre toujours, que – de ressusciter pour mourir de nouveau.
2. Si la résurrection de ce jeune homme comble de joie la veuve, sa mère ; notre mère la sainte Église se réjouit aussi en voyant chaque jour des hommes ressusciter spirituellement. L’un était mort de corps ; les autres l’étaient d’esprit. On pleurait visiblement la mort visible du premier ; on ne s’occupait, on ne s’apercevait même pas de la mort invisible des derniers. Mais quelqu’un connaissait ces morts, il s’occupa d’eux ; et heureusement, Celui qui seul les connaissait, pouvait les rappeler à la vie. Si en effet le Seigneur n’était venu pour ressusciter ces morts, l’Apôtre ne dirait pas : « Lève-toi, toi qui dors ; lève-toi d’entre les morts et le Christ t’éclairera[3]. » ces mots : « Lève-toi, toi qui dors », tu te figures simplement un homme endormi ;'mais ces autres mots : « Lève-toi d’entre les morts », doivent le faire entendre qu’il est réellement question d’un mort. Des morts même ordinaires ne dit-on pas qu’ils dorment ? Oui, pour Celui qui peut les ranimer ils ne sont qu’endormis. Un mort est pour toi un mort, car il ne s’éveille point quoique tu fasses pour le secouer, pour le pincer, pour le mettre en pièces. Mais pour le Christ qui lui dit : « Lève-toi », ce jeune homme était simplement endormi, puisqu’il se leva aussitôt. Nul n’éveille aussi facilement un homme dans son lit, que le Christ ne tire un mort du tombeau.
3. L’Écriture ne nous parle que de trois morts visibles ressuscités parle Christ. Il est certain qu’il a ressuscité par milliers des morts invisibles ; mais qui sait combien il en a ressuscités de visibles ? Car tout ce qu’il a fait n’est pas écrit. « Jésus a fait beaucoup d’autres choses, dit Jean en termes formels ; si elles étaient écrites, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu’il faudrait composer [4]. » Il est donc sûr que le Sauveur a ressuscité beaucoup d’autres morts ; mais ce n’est pas sans motif qu’il n’est fait mention que de trois. Notre-Seigneur Jésus-Christ, en effet, voulait qu’on vît encore un sens spirituel dans ce qu’il faisait sur les corps. Il ne faisait pas des miracles pour faire des miracles ; il prétendait qu’admirables à l’œil, ses œuvres fussent une instruction pour l’esprit. Un homme voit des caractères sur un livre magnifiquement écrit, mais il ne sait lire ; il loue l’adresse du copiste, il admire la beauté des traits, mais il en ignore la destination et le sens ; ses yeux s’extasient ainsi devant ce que ne comprend pas son esprit. Un autre au contraire admire et comprend, car il ne voit pas

  1. Luc. 7, 11-15
  2. Jn. 5, 21
  3. Eph. 5, 14
  4. Jn. 21, 27