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sept fois, dit-il ? « Non seulement sept fois, reprit le Seigneur, mais septante-sept fois. » Il rapporta ensuite une parabole effroyable. Le royaume des cieux, disait-il, est semblable à un père de famille qui voulut compter avec ses serviteurs. Il en trouva un qui lui devait dix mille talents, et lorsqu’il eut donné l’ordre de vendre pour payer cette dette, tout ce que possédait ce malheureux, de vendre toute sa famille et de le vendre lui-même, celui-ci se jeta aux genoux de son Maître, demanda un délai et mérita la remise de sa dette. Car ce maître, touché de compassion, lui remit tout ce qu’il devait, ainsi qu’il a été dit. Déchargé de sa dette mais esclave du péché, ce serviteur, après avoir quitté sou maître, rencontra à son tour quelqu’un qui lui était redevable, non pas de mille talents, le chiffre de sa dette, mais de cent deniers. Il se luit à le serrer, à l’étouffer, et à lui dire : « Paie ce que tu me dois. » Ce dernier suppliait son compagnon, comme le compagnon avait lui-même supplié son Maître ; mais il ne trouva point dans ce compagnon ce que celui-ci avait trouvé dans le Maître. Non-seulement il refusa de lui remettre sa dette, il ne lui laissa même aucun délai ; et acquitté généreusement par son Seigneur, il le traînait avec violence pour le contraindre à payer. Cette conduite fâcha les autres serviteurs et ils rapportèrent à leur Maître ce qui venait de se passer. Le Maître fit comparaître ce misérable et lui dit : « Méchant serviteur », quand tu m’étais redevable d’une telle somme, par compassion « je t’ai remis le tout. Ne devais-tu donc pas prendre pitié de ton compagnon comme j’ai eu pitié de toi ? » Et il commanda qu’on lui fit payer tout ce qui lui avait été remis.
2. Cette parabole est destinée à notre instruction, c’est un avertissement pour nous détourner de nous perdre. « C’est ainsi, dit le Sauveur, que vous traitera aussi votre Père céleste, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond de son cœur », Ainsi, mes frères, le précepte est clair, l’avertissement utile ; et il – ne peut y avoir que grand profit à obéir, à faire avec perfection ce qui est ordonné. Tout homme, en effet, est débiteur à l’égard de Dieu, et créancier à l’égard de son frère. Quine doit à Dieu, sinon celui qui est absolument sans péché ? Et à qui n’est-il pas dû, sinon à celui que personne n’a jamais offensé ? Pourrait-on découvrir dans tout le genre humain un seul individu qui ne fût redevable à son frère à cause pour quelque faute ? Ainsi chacun est à la fois débiteur et créancier ; et pour ce motif Dieu t’oblige de faire envers ton débiteur ce qu’il fera lui-même envers le sien. Il y a deux espèces d’œuvres de miséricorde qui peuvent servir à nous décharger et que le Seigneur a exprimé en peu de mots dans son Évangile : « Pardonnez, dit-il, et on vous pardonnera ; donnez, et on vous donnera[1]. » — Pardonnez, et on vous pardonnera, voilà pour l’indulgence. Donnez, et on vous donnera, voilà pour la bienfaisance. Il dit donc, à propos de l’indulgence : Tu veux qu’on te pardonne tes fautes, il est aussi des fautes que tu dois pardonner ; et à propos de la bienfaisance : Un pauvre mendie près de toi, et toi tu mendies près de Dieu. Que sommes-nous quand nous prions, sinon les pauvres de Dieu ? Nous nous tenons, ou plutôt nous nous prosternons, nous supplions et nous gémissons devant la porte du grand Père de famille ; nous lui demandons quelque chose, et ce, quelque chose est Dieu même. Que te demande un mendiant ? Du pain. Et toi, que demandes-tu au Seigneur, sinon son Christ, lui qui a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel[2] ? » Vous voulez qu’on vous pardonne ? Pardonnez. « Pardonnez, et on vous pardonnera. » Vous demandez quelque chose ? « Donnez, et on vous donnera. »
3. Qu’y a-t-il, dans des commandements aussi clairs, qui puisse fournir matière à difficulté ! Le voici. À propos de ce pardon qui se demande et qu’on doit accorder, on peut se poser la question que se posa Pierre. «Combien de fois dois-je pardonner ? demanda-t-il. Suffit-il de sept fois ? » Non, reprit le Seigneur, « je ne te dis pas : sept fois, mais : septante-sept fois. » – Compte maintenant combien de fois ton frère t’a manqué. Si tu trouves en lui septante-huit fautes, s’il en fait contre toi plus de septante-sept, tu peux donc travailler à te venger ? Est-il bien vrai, est-il bien sûr que tu dois pardonner si on t’offense septante-sept fois, et que tu n’y sois plus obligé, si on te manque septante-huit fois ? Je l’ose dire, je l’ose dire, t’eût-on offensé septante-huit fois, pardonne. Oui, par donne si on t’offense septante-huit fois. Et si c’était cent ? Pardonne encore. À quoi bon fixer un nombre et un autre nombre ? Pardonne, quelle que soit la quantité des torts. Ainsi donc, j’ose ne m’en pas tenir au nombre fixé

  1. Luc. 6, 37-38
  2. Jn. 6, 51