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fit sécher [1]. Si ce trait ne renfermait pas quelque signification mystérieuse, n’y aurait-il pas eu folie, premièrement, à chercher des fruits sur un arbre lorsque ce n’en était pas la saison ? Et d’ailleurs, quand même t’eût été le temps des fruits, comment reprocher à un arbre de n’en avoir pas produits ? Mais le Seigneur, voulait faire sentir qu’il demandait, non-seulement des feuilles, mais encore des fruits, non-seulement des paroles, mais encore des actes, et en desséchant l’arbre où il ne rencontre que des feuilles, il indique à quels châtiments sont réservés ceux qui peuvent bien dire sans vouloir bien faire. Ainsi en est-il ici ; car ici encore il y a un mystère. Celui qui sait tout d’avance demande « Qui m’a touché ? » Le Créateur n’a-t-il pas l’air d’un ignorant ? Il questionne quand il sait ce qu’il demande et que d’avance il connaît même tout le reste ? Le Christ veut assurément nous apprendre quelque chose par ce mystère.

8. Cette fille du Prince de Synagogue représentait donc le peuple juif pour qui était venu le Christ, lui qui a dit : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Et la femme qui souffrait d’une perte de sang figurait l’Église des gentils, que le Christ ne devait pont faire jouir de sa présence corporelle. Il allait vers la première, avait en vue son salut ; la seconde intervient, elle touche la frange de son vêtement sans qu’il paraisse s’en apercevoir ; elle est donc guérie comme par un absent. « Qui m’a touché ? » demande le Seigneur. C’est comme s’il eût dit : Je ne connais pas ce peuple. « Un peuple que je n’ai pas connu m’a servi. – Qui m’a touché ? Car j’ai senti qu’une vertu s’échappait de moi », c’est-à-dire que l’Évangile allait au loin et remplissait tout l’univers. La frange touchée est le bord et une mince partie du vêtement. Faites des Apôtres comme le vêtement du Christ. Paul en était la frange ; il était le dernier et le moindre d’entre eux, comme il le confesse lui-même : « Je suis, dit-il, le dernier des Apôtres ?[2] » Effectivement, il fut appelé et il crut après tous les autres et néanmoins travailla plus qu’aucun d’eux. Le Seigneur n’était donc envoyé que vers les brebis égarées de la maison d’Israël. Mais comme il devait être servi par un peuple qu’il n’avait pas connu, comme ce peuple devait lui prêter une oreille docile, il ne l’oublia pas non plus au milieu des Juifs, car il – dit quelque part J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail ; il faut que je les amène aussi, afin qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur [3]. »
9. De ce nombre était la Chananéenne ; aussi Jésus ne la dédaignait pas, mais il différait de l’exaucer. « Je ne suis envoyé, disait-il, qu’aux brebis égarées de la maison d’Israël. » Et elle insistait par ses cris, elle continuait et elle frappait comme si déjà il lui eût été dit : Demande et reçois ; cherche et tu trouveras ; frappe et il te sera ouvert. Elle insista, elle frappa. Avant de dire : « Demandez et vous recevrez ; frappez et il vous sera ouvert ; » le Seigneur avait dit : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, dans la crainte qu’ils ne les foulent aux pieds et que se retournant ils ne vous déchirent[4] ; » dans la crainte qu’après avoir méprisé vos perles ils ne vous tourmentent vous-mêmes. – Gardez-vous, donc de jeter devant eux ce qu’ils n’apprécient pas.

10. Mais comment distinguer, dira-t-on, les pourceaux et les chiens ? Nous le voyons dans l’histoire de la Chananéenne. Comme elle insistait, le Seigneur lui répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. » Tu es une chienne, tu es du nombre des gentils, tu adores les idoles. Or l’habitude des chiens n’est-elle pas de lécher les pierres ? « Il n’est donc pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. » Si elle s’était éloignée, après ces paroles, elle se serait retirée chienne comme elle était venue ; mais en frappant elle cessa d’être un chien pour devenir un homme, Car elle redoubla ses demandes et l’humiliation même qu’elle endura fit éclater son humilité et lui obtint miséricorde. Elle ne s’émut point, elle ne se fâcha point d’avoir été traitée de chienne quand elle demandait une grâce, quand elle implorait la miséricorde. « C’est vrai, Seigneur », répondit-elle ; vous m’avez traitée de chienne ; je le suis réellement, je reconnais mon nom, c’est la vérité même qui parle ; je ne dois pas pour cela être exclue de vos faveurs. Hélas ! oui, je suis une chienne ; « mais les chiens eux-mêmes mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Je ne désire qu’une faveur bien petite et bien mince, je ne me jette pas sur la table, je cherche seulement des miettes.

  1. Mrc. 11,13-14
  2. 1Co. 15, 9
  3. Jn. 10, 16
  4. Mat. 3, 6-7