Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/331

Cette page n’a pas encore été corrigée

quand invité à la pénitence par la patience divine, on se laisse aller à la dureté et à l’impénitence de son cœur et qu’on s’amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres [1]. Or cette impénitence, car nous pouvons appeler de ce nom unique et le blasphème et la parole contre le Saint-Esprit ; celte impénitence contre laquelle s’élevaient et le héraut et le jute lorsqu’ils disaient l’un et l’autre : « Faites pénitence, car le royaume des cieux approche ; » contre laquelle le Seigneur commença ses prédications évangéliques et contre laquelle il prédit que son Évangile serait publié par tout l’univers, lorsque après sa résurrection il parla ainsi à ses disciples « Il fallait que le Christ souffrit, et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des, péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem[2] ; » cette impénitence est absolument irrémissible, et dans ce siècle et dans le siècle futur, car la mission de la pénitence est d’obtenir dans ce siècle un pardon qui serve dans le siècle à venir.
21. Mais on ne saurait se prononcer sur cette impénitence ou sur ce cœur impénitent, tout le temps que le pécheur vit dans ce monde. Car il ne faut désespérer du salut de personne, tant que la patience divine invite à la pénitence et que l’impie n’est pas tiré de cette vie par Celui qui ne veut pas sa mort, mais plutôt sa conversion et sa vie[3]. Cet homme est païen aujourd’hui : comment peux-tu savoir si demain il ne sera pas chrétien ? Le Juif est aujourd’hui incroyant : et si demain il s’attache au Christ ? Tel est aujourd’hui hérétique : et s’il embrasse demain la vérité catholique ? Il est schismatique : et s’il rentre demain dans la paix de l’Église ? Si enfin tous ces hommes que tu vois entraînés dans différentes sortes d’égarements et que tu condamnes comme des désespérés, font pénitence avant de quitter la terre et parviennent dans l’autre monde à la vie véritable ? Aussi, mes frères, que ces paroles de l’Apôtre vous servent de règle : « Gardez-vous de juger avant le temps[4]. » On ne saurait en effet, comme nous l’avons dit, constater dans aucun vivant ce blasphème à tout jamais irrémissible contre le Saint-Esprit ; ce blasphème qui, nous l’avons compris, n’est pas toute espèce de blasphème, mais un blasphème particulier, et qui consiste, nous l’avons dit, nous croyons même l’avoir clairement démontré dans l’opiniâtre dureté d’un cœur impénitent.
22. N’objectez point que le pécheur continuant à vivre, jusqu’à la fin de sa carrière, dans cette indomptable impénitence, parle souvent et longtemps contre cette grâce de l’Esprit-Saint, et qu’il serait absurde à l’Évangile de représenter cette longue rébellion du cœur impénitent comme quelque chose de court, comme une simple parole, puisque nous lisons : « Quiconque aura dit une parole contre le Fils de l’homme sera pardonné : mais quiconque aura dit une parole contre le Saint-Esprit ne sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir. » Ce blasphème, sans doute, est prolongé, et se traduit par un grand nombre de paroles ; mais l’usage de l’Écriture n’est-il pas de désigner par le singulier un grand nombre de paroles ? Aucun prophète ne s’est contenté de prononcer une seule parole ; nous lisons toutefois : « Parole adressée à tel ou tel prophète. » L’Apôtre dit aussi : « Que les prêtres soient regardés comme dignes d’un double honneur, surtout ceux qui s’appliquent à la parole et à l’enseignement [5]. » Il ne dit pas : Aux paroles, mais : « à la parole. » Et saint Jacques : « Pratiquez, dit – il, la parole, sans vous contenter de l’entendre[6]. » Il ne dit pas non plus : Les paroles ; mais : « La parole : » et pourtant combien de paroles tirées des divines Écritures ne lit-on pas, ne prononce-t-on pas, n’écoute-t-on pas publiquement et solennellement dans l’Église ? Quel que soit le temps que nous nous fatiguions à prêcher l’Évangile, on nous appelle les prédicateurs, non pas des paroles, mais de la parole divine : et quel que soit le temps que vous vous appliquiez vous-mêmes à entendre avec soin nos prédications, on vous nomme auditeurs attentifs, non pas des paroles mais de la parole sacrée. Ainsi conformément au langage habituel des Écritures, que reproduisent les usages de l’Église ; quelle que soit la longueur de cette vie mortelle, et quelque nombreuses que soient en pensée ou de vive voix, les paroles prononcées par un cœur impénitent, durant tous le cours de son existence terrestre, à l’encontre de la rémission des péchés qui s’accorde dans l’Église, ce cœur profère une parole contre le Saint-Esprit.
23. Si maintenant on peut être absous, non seulement de toute parole prononcée contre le

  1. Rom. 2, 4-6
  2. Luc. 24, 46-47
  3. Eze. 18, 23
  4. 1 Co. 2, 6
  5. 1 Ti. 5, 17
  6. Jac. 1, 22