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si près de toi, pour ne pas sentir les rigueurs de son terrible avènement, Compte qu’en vivant saintement tu parviendras â voir cet incorruptible témoin de tes désordres. Malgré ces désordres il peur te voir, tu ne saurais le voir toi-même, tandis qu’en pratiquant la vertu, tu le verras comme tu es vu de Lui. S’il t’a regardé avec tant de compassion pour t’appeler malgré ton indignité, avec quelle tendresse plus grande te contemplera-t-il quand il couronnera tes mérités ? Sans connaître encore le Seigneur, Nathanaël lui disait : « D’où me connaissez-vous ? – Je t’ai vu lorsque tu étais sous le figuier », répondit-il[1]. Le Christ te voit à l’ombre où tu es et il ne te verrait pas dans sa lumière ? Que signifie en effet : « Lorsque tu étais sous le figuier, je t’ai vu ? » Quel est le sens, le sens mystique de ces mots ? Rappelle-toi le péché originel d’Adam, en qui nous mourons tous. Après sa première faute, le coupable se fit une ceinture de feuilles de figuier[2], montrant ainsi à quelle honte le péché l’avait conduit. Telle est, hélas ! la source de notre origine ; nous naissons dans une chair de péché, que peut seule guérir la ressemblance de cette chair criminelle. Aussi Dieu a-t-il envoyé son Fils prendre une chair semblable à celle du péché[3]. Il est venu de cette chair, mais il n’est pas venu comme nous. La Vierge l’a conçu non pas avec concupiscence, mais par la foi. Il est descendu en elle, mais il était avant elle. Il l’a choisie après l’avoir créée, mais il l’avait créée digne de son choix. Sans lui ôter l’intégrité, il lui a donné la fécondité. C’est ainsi que venu avers toi sans la passion que dérobent les feuilles de figuier, il t’a vu sous cet arbre. Puisqu’il t’a vu dans sa miséricorde, dispose-toi à le contempler dans sa grandeur. Quelle haute destinée Songe donc à t’asseoir sur un bon fondement. Quel fondement, diras-tu ? Apprends de lui qu’il est doux et humble de cœur. Creuse en toi ce fondement d’humilité et tu t’élèveras au faîte de la charité. Tournons-nous vers le Seigneur, etc[4].


SERMON LXX. DOUCEUR DU JOUG DIVIN[5].

ANALYSE. – Le Seigneur dit que son joug est doux. Tout, au contraire, ne semble-t-il pas nous enseigner qu’il est dur et pesant ? – On voit partout des hommes se livrer avec bonheur aux plus rudes travaux, tandis que d’autres s’en trouvent accablés. Les premiers souffrent facilement parce qu’ils aiment, et les derniers difficilement parce qu’ils n’aiment pas. C’est aussi l’amour qui rend doux le joug de Jésus-Christ et son fardeau léger.


1. Plusieurs s’étonnent, mes frères, d’entendre dire au Seigneur : « Venez à moi, vous tous qui fatiguez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes ; car mon joug est doux et mon fardeau léger. » Ceux qui sans frémir se sont courbés sous ce joug et qui ont avec une docilité parfaite présente leurs épaules à ce fardeau, leur semblent tourmentés et éprouvés par tant de difficultés dans ce siècle, qu’ils les considèrent comme étant appelés, non pas du travail au repos, mais du repos au travail, l’Apôtre disant lui-même : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront persécution[6]. » Comment donc, s’écrie-t-on, le joug du Seigneur serait-il doux et son fardeau léger, puisque porter ce joug et ce fardeau n’est autre chose que de vivre pieusement en Jésus-Christ ? Comment aussi le Sauveur dit-il : « Venez à moi, vous tous qui fatiguez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai ? » Ne devrait-il pas dire au contraire : Vous qui êtes en repos, venez travailler ? Ainsi trouva-t-il en repos les ouvriers qu’il loua et qu’il envoya à sa vigne pour y porter le poids de la chaleur [7]. Et sous ce joug si doux, sous ce fardeau si léger, l’Apôtre nous dit encore : « Montrons-nous en toutes choses comme des ministres de Dieu par une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les angoisses, sous les coups[8]. » Ailleurs encore,

  1. Jn. 1, 48
  2. Gen. 3, 7
  3. Rom. 8, 3
  4. Voir ci-dessus, Serm.I
  5. Mat. 11, 28-30
  6. 2 Ti. 3, 12
  7. Mat. 20, 3-7
  8. 2 Co. 6, 4