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aurait pu en tirer ; ton silence est plutôt une haine véritable.

3. Qu’on ne dise donc plus : Qui peut pardonner ? Appliquez-vous à remplir ce – devoir dans votre cœur, tenez-y là charité. Luttez et vous vaincrez, car c’est le Christ qui vaincra avec vous. Luttez, mais contre qui ? Luttez contre le péché, contre les mauvais propos de ceux qui vous disent : Quoi ! tu ne te venges pas ? Tu resteras sans défense et tu ne lui fais pas sentir sa faute ? Ah ! s’il avait affaire à moi ? Luttez donc et soyez vainqueur. Quand le Christ endura de la part des Juifs les dernières énormités, ne pouvait-il pas, s’il avait voulu, ordonner à la terre de s’ouvrir et d’engloutir ses bourreaux ? Malgré sa toute-puissance, il les souffrit jusqu’à permettre qu’ils l’élevassent en croix, et pendant qu’il y était suspendu : « Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[1]. » Et toi serviteur racheté par le sang de ton Maître crucifié, tu n’imiteras point ton Sauveur ! Quel besoin avait-il de souffrir autant, quand il pouvait ne rien souffrir ? « J’ai le pouvoir, dit-il, de donner mon âme, et j’ai le pouvoir de la reprendre ; nul ne me la ravit, mais je la donne et je la reprendrai[2]. » Or, mes frères, n’est-ce pas ainsi qu’il a fait ? Il était suspendu à la croix, comme nous l’avons lu aux Aspirants[3], et sitôt qu’il vit toutes les Écritures accomplies dans sa personne et qu’on lui eut présenté le vinaigre, « C’est fini, » s’écria-t-il ; puis inclinant la tête il rendit l’esprit, comme s’il ne demeurait là que pour tout accomplir. Il donna donc son âme quand il le voulut. Aussi était-il Dieu, tandis que les compagnons de son supplice n’étaient que des hommes. Il meurt plutôt qu’eux ; et quand, à cause du sabbat, l’ordre fut donné de descendre les corps de la croix pour les ensevelir, on trouva que les larrons vivaient encore et on leur rompit les jambes. Le Seigneur était mort ; un soldat toutefois lui frappa le côté de sa lance et il en jaillit de l’eau et du sang[4]. C’est ta rançon. Qu’est-ce en effet qui sortit de ce côté, sinon le sacrement reçu par les fidèles ? Tu vois ici l’esprit, le sang et l’eau : l’esprit qu’il rendit, le sang et l’eau qui coulèrent de son côté. C’est l’indice que l’Église est née de l’eau et du sang. À quel moment ce sang et cette eau sortirent-ils de son côté ? An moment où le Christ était déjà endormi sur la croix. C’est ainsi qu’Adam fut endormi dans le Paradis et qu’Eve fut tirée de son côté. Voilà donc le prix de ta rédemption. Imite l’humilité de ton Seigneur, marche sur ses traces et ne dis pas : Qui pardonne ? Peut-être est-il près de toi un homme, qui ne pardonne point. Mais si tu pardonnes au milieu de cette multitude, tu seras considéré comme ce pur froment trouvé seul sur l’aire au milieu de pailles sans nombre. Il est difficile de rencontrer deux grains intimement unis ; la paille se glisse entre les bons grains. C’est ce que l’on remarque parmi ceux qui veulent servir Dieu ; le bruit et la multitude des méchants les enveloppent de toutes parts ; de quelque côté qu’ils se tournent ils ne rencontrent que de mauvais conseils. Sois le bon grain et ne t’inquiète point de la paille. Viendra le temps de la séparation ; c’est pourquoi nous venons de chanter : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie[5]. » Tels sont les gémissements de l’Église au milieu des pécheurs. Mais croyez-vous, mes frères, que cette séparation demandée par elle soit la séparation d’avec les hérésies, qui sont comme des sarments rompus ? Cette séparation est déjà faite. Serait-ce sa séparation d’avec le parti de Donat, d’avec les Ariens ou les Manichéens, qu’implore l’Église en répétant : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause ? » Non ; elle ne demande à être séparée que de ceux qui vivent dans son sein et qu’elle doit tolérer jusqu’à la fin des siècles. Or en disant : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause, » elle sollicite la grâce de n’être ni jugée ni perdue avec eux au jour de la justice. « Laisse croître l’ivraie[6]. » voilà son devoir pour le moment ; et les bons supportent les méchants jusqu’au jour de la séparation finale.

4. Le patriarche Jacob, dont on vient de vous lire l’histoire, est la figure du peuple chrétien, peuple puîné ; comme Esaü est la figure des juifs. Il est vrai, Jacob est à la lettre le père de la nation juive ; mais cette nation est mieux représentée par Esaü : comme Esaü elle a été réprouvée et la prééminence q passé au peuple plus jeune des Chrétiens. Lorsque Esaü et Jacob luttaient au sein maternel et que Rébecca s’attristait des secousses imprimées à ses, entrailles, « Pourquoi ces tourments, s’écria-t-elle ? La stérilité me serait

  1. Luc. 29, 34
  2. Jn. 10, 18
  3. Competentes, les Catéchumènes qui se disposaient à recevoir prochainement le Baptême.
  4. Jn. 19, 30-34
  5. Psa. 42, 1
  6. Mat. 13, 30