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la récompense ne devrait-elle pas enflammer le cœur pour le travail qui l’obtient ? À plus tard ce que nous demandons ; mais c’est maintenant qu’il nous est commandé de mériter ce que nous obtiendrons plus tard. Commence à rappeler les divines paroles, les commandements et les récompenses évangéliques. – « Bienheureux les pauvres de gré, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » – Tu posséderas plus tard ce royaume des cieux ; sois maintenant pauvre de gré. Veux-tu réellement posséder plus tard ce magnifique royaume ? Vois quel esprit t’anime et sois pauvre de gré. Mais qu’est-ce qu’être pauvre de gré ? Demandes-tu peut-être. Aucun orgueilleux n’est pauvre de gré ; le pauvre de gré est donc l’homme humble. Le royaume des cieux est haut placé ; mais « quiconque s’humilie s’élèvera » jusques là[1].

2. Considère ce qui suit : « Bienheureux ceux qui sont doux, car ils auront la terre pour héritage. » Tu veux posséder la terre ? Prends garde d’être possédé par elle. Tu la posséderas si tu es doux ; tu en seras possédé si tu ne l’es pas. Mais en entendant qu’on t’offre comme récompense la possession de la terre, n’ouvre pas des mains avares pour t’en emparer dès aujourd’hui, aux dépens même de ton voisin ; ne sois pas le jouet de l’erreur. Posséder la terre, c’est s’attacher intimement à Celui qui a fait le ciel et la terre. La douceur en effet consiste à ne pas résister à son Dieu, à l’aimer et non pas soi dans le bien que l’on fait ; et dans le mal que l’on souffre justement, à ne pas lui en vouloir mais à s’en vouloir à soi-même. Il n’y a pas un léger mérite de lui plaire en se déplaisant et de se déplaire en lui plaisant.

3. Troisième béatitude : « Bienheureux ceux qui pleurent ; car ils seront consolés. » Les pleurs désignent le travail, et la consolation, la récompense. Quelles sont, hélas ! les consolations de ceux qui pleurent d’une manière charnelle ? Aussi importunes que redoutables ; car en essuyant leurs larmes, ils craignent toujours d’en verser de nouvelles. Un père, par exemple, se désole d’avoir perdu son fils, la naissance d’un autre le réjouit ; celui-ci remplace celui qui n’est plus, mais il est pour lui un sujet de crainte comme le premier a été un sujet de tristesse, et il ne trouve dans aucun d’eux consolation véritable. La vraie consolation sera de recevoir ce qu’on ne pourra perdre, et on mérite d’en jouir plus tard, lorsque maintenant on gémit d’être en exil.

4. Quatrième devoir et quatrième récompense : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. » Tu veux être rassasié ? Comment le seras-tu ? Si tu aspires au rassasiement du corps, une fois les aliments digérés, tu ressentiras de nouveau le tourment de la faim ; car il est dit : « Quiconque boira de cette eau, aura soif encore[2]. » Quand un topique étendu sur une plaie parvient à la guérir, toute douleur disparaît, mais la nourriture ne chasse la faim et ne restaure que pour un moment ; car la faim succède au rassasiement ; et en vain applique-t-on chaque jour le remède de la nourriture, il ne cicatrise point la faiblesse. Ayons donc faim et soif de la justice ; c’est le moyen d’en être un jour rassasiés, car notre rassasiement viendra de ce qui maintenant provoque en nous et la faim et la soif. Que notre âme en ait faim et soif ; pour elle aussi il y a une nourriture et il y a un breuvage. « Je suis, dit le Seigneur, le pain descendu du ciel[3]. » Voilà le pain destiné à apaiser ta faim. Désire aussi le breuvage qui étanchera ta soif : « En vous », Seigneur, « est, là source de vie[4]. »

5. Autre maxime : « Bienheureux les miséricordieux, car Dieu leur fera miséricorde. » Fais-la et on la fera ; fais-la envers un autre et on la fera envers toi. Tu es à la fois riche et pauvre, riche des biens temporels, pauvre des biens éternels. Tu entends un homme mendier, tu mendies toi-même auprès de Dieu. On te demande, et tu demandes. Ce que tu feras envers ton solliciteur, Dieu le fera envers le sien. Plein d’un côté et vide de l’autre, remplis de ta plénitude le vide des pauvres, et le tien sera rempli de la plénitude de Dieu.

6. Nous lisons encore : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu. » Telle est la fin de notre amour ; mais c’est une fin qui nous perfectionne et non une fin qui nous détruit. On finit un repas et on finit un vêtement ; un repas, quand on a consumé la nourriture ; un vêtement, quand on achève de le coudre. Ici et là on achève ; ici de consumer, et là de perfectionner. Quels que soient maintenant nos actes et nos vertus, nos efforts et les louables et innocentes aspirations de notre cœur, une fois que nous verrons Dieu nous serons entièrement satisfaits. Que pourrait chercher encore celui qui possède Dieu, et de quoi se contenterait celui à qui Dieu ne suffit pas ? Ce, que nous voulons,

  1. Luc. 14, 2
  2. Jn. 4, 13
  3. Id. 6, 41
  4. Psa. 35, 10