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des corps ? On peut dont voir ici la résurrection générale des corps, laquelle fera le complément de la béatitude, car alors la chair ne convoitera plus contre l’esprit ni l’esprit contre la chair, En effet ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel d’immortalité [1] Il n’y aura plus dans nos membres de loi pour lutter contre la loi de l’esprit ; car « en ce lieu je donnerai la paix, dit le Seigneur des armées. »
13. S’il s’agit du mépris de l’or et de l’argent matériels, combien les prophètes n’en ont-ils point parlé ? et qui a pu fermer assez l’oreille à la divine parole pour ignorer ce qu’ils en on dit ? Les Manichéens ; pour séduire les esprits, citent ce texte de l’Apôtre : « L’avarice est la racine de tous les maux, et en s’y laissant entraîner, plusieurs ont dévié de la foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins[2]. » Mais serait-il facile de découvrir dans l’ancien Testament un livre où l’avarice ne soit pas condamnée et vouée à l’exécration ? Puisqu’il s’agit entre nous d’or et d’argent, pourquoi n’écoutent-ils pas cet oracle prophétique : « Ni leur or, ni leur argent ne pourront les délivrer au jour de la colère divine [3] ». Ne suffirait-il pas d’entendre ce passage avec de bonnes dispositions, de s’en pénétrer l’âme, pour renoncer entièrement aux séductions d’une félicité trompeuse, pour se jeter dans les bras de Dieu, se dépouiller du vieil homme et se revêtir d’immortalité ? Mais pourquoi agiter plus longtemps cette question ? Votre charité voit clairement, je n’en doute pas, que, devant les simples, les Manichéens s’appuient, non sur la vérité mais sur l’astuce, pour opposer une partie de l’Écriture à toute l’Écriture et les livres nouveaux aux livres anciens ; et que, pour faire illusion aux ignorants, ils prennent des phrases isolées entre lesquelles ils s’efforcent de montrer quelque contradiction. Mais dans le nouveau Testament lui-même, il n’y a ni une épître apostolique, ni un livre évangélique qu’on ne puisse défigurer également ; on peut dans le même livre montrer des pensées opposées s’il n’a le plus grand soin, en le lisant, d’étudier le contexte tout entier.


SERMON LII. LA DOUBLE GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST[4].

ANALYSE.— Après avoir félicité ses auditeurs de ce qu’ils ont préféré au spectacle profane le spectacle de la vérité évangélique, et après avoir plaint ceux que l’attachement aux divertissements publics retient éloignés de l’Église, saint Augustin aborde le sujet qu’il a promis de traiter le jour de Noël. Il s’agit d’expliquer pourquoi Jésus-Christ est né miraculeusement de Marie et pourquoi néanmoins sa double généalogie est la généalogie de Joseph. – I. Pour relever le courage et l’honneur du sexe qui nous a perdus, il convenait que Jésus-Christ naquit d’une femme. Comment savoir qu’il est né d’une femme ? Par le témoignage de l’Église universelle et par le témoignage de l’Évangile ; car si l’on rencontre des difficultés dans l’Évangile, elles s’évanouissent bientôt quand on croit avec une hum soumission. Or l’Évangile rapporte expressément, non-seulement que le Fils de Dieu a pris chair dans la race de David et d’Abraham mais encore qu’il est né miraculeusement de la vierge Marie. En vain objecte-t-on que l’Évangile est dans l’erreur lorsqu’il rapporte le nombre des générations. Son calcul n’est pas erroné, et ce qu’il a d’étonnant figure d’une manière admirable comment le Sauveur convertissant les hommes devait être la pierre angulaire qui réunirait entre eux les Juifs et les païens devenus chrétiens. – II. Pourquoi la généalogie du Sauveur est-elle celle de Joseph et non celle de Marie ? – C’est que Joseph est le père de Jésus-Christ. Ainsi l’enseigne l’Évangile à plusieurs reprises ; ainsi le veut son titre véritable d’époux de Marie ; ainsi l’exige la filiation adoptive. Si maintenant les Évangélistes attribuent deux pères à Joseph, c’est qu’il arrivait souvent chez les Juifs qu’un fils portait même temps le nom de son père légal et le nom de son père réel. Si d’un autre côté saint Matthieu compte les générations descendant, tandis que saisit Luc les énumère en remontant, si l’un en compte quarante et l’autre soixante-dix-sept, c’est dans un but mystérieux, c’est pour faire connaître que le Fils de Dieu est descendu parmi nous pour se charger de nos péchés et qu’il est remonté vers son Père après les avoir effacés.


1. Dieu a excité l’attente de votre charité, qu’il daigne la remplir. Nous comptons, il est vrai que ce que nous allons vous adresser ne vient pas de nous mais de Lui ; nous disons cependant avec beaucoup plus de raison que l’Apôtre dans son humilité, que « nous portons ce trésor dans vases d’argile, afin que la grandeur appartienne à la puissance de Dieu et ne vienne pas nous[5]. » Je le vois, vous vous souvenez de notre engagement ; c’est en Dieu que nous l’avons contracté, et

  1. 1 Cor. 15, 53
  2. 1 Tim. 6, 10
  3. Eze. 7, 19
  4. Mt. 1, 1-17 ; Lc. 3, 23-36
  5. 2 Cor. 4, 7