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aux oreilles et qui les frappe plus fortement de près, et de loin plus faiblement, est néanmoins entendu tout entier par tous sans qu’ils s’en partagent les syllabes, puisque chacun d’eux le reçoit tout entier ; que penser de ce Dieu qui est présent partout, qui remplit tout, aussi parfaitement ce qui est proche que ce qui est éloigné, qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force et dispose toutes choses avec douceur [1] ? N’est-il pas, à bien plus forte raison encore, possédé également par tous ? Voyez encore, mes frères, cette lumière : elle est sûrement corporelle, elle brille au ciel, s’élève, s’abaisse, circule, va d’un lieu dans un autre. Tous les yeux cependant vont à sa rencontre, se dirigent vers elle, et tous la possèdent également sans la diviser ; le riche ne l’arrête pas et s’il en jouit le premier, il n’en prive pas les yeux du pauvre ou ne la rétrécit pas pour lui. Le pauvre peut donc dire : mon Dieu, et le riche : mon Dieu. L’un a plus et l’autre a moins abondamment, mais en argent et non en Dieu. Pour parvenir à lui, le riche Zachée donna moitié de son patrimoine[2] ; Pierre abandonna ses filets et sa barque[3] ; la veuve offrit deux oboles[4] ; un plus pauvre encore présenta un verre d’eau froide[5] ; et celui qui n’avait absolument rien accorda uniquement sa bonne volonté[6]. Les offrandes étaient diverses, mais elles obtinrent la même récompense, car l’amour n’était pas différent. Vous donc, ô hommes qui êtes les brebis de Dieu, ô brebis du troupeau de Dieu, ne vous troublez point de voir dans le monde tant de conditions différentes ; les uns dans la gloire et les autres sans gloire ; les uns opulents et les autres indigents ; ceux-ci beaux de corps et ceux-là épuisés par l’âge ; des jeunes gens et des enfants, des hommes et de femmes. Dieu est également pour tous ; et on le possède d’autant plus qu’on a donné, non pas plus d’agent, mais plus de foi. « Et vous, mes brebis, brebis de mon troupeau, vous êtes des hommes, et je suis votre Dieu, dit le Seigneur Dieu. » Oh ! que nous sommes heureux d’avoir un tel domaine et d’en, être nous-mêmes le domaine ! Car nous le possédons et il nous possède ; il nous possède pour nous cultiver et nous le possédons pour l’honorer ; nous l’honorons comme Dieu et il nous cultive comme un champ ; il nous cultive pour que nous portions des fruits, et nous l’honorons pour en donner. Tout nous revient, il n’a pas besoin de nous. « Je te donnerai, dit-il, un héritage, ton domaine s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre [7]. » Nous sommes ainsi sa possession. « Le Seigneur, est-il dit encore, est la part de mon héritage et de mon calice[8]. » Le voilà à son tour notre domaine. Et pourtant quelle différence ! « Vous êtes hommes et je suis le Seigneur votre Dieu, dit ce Dieu notre Seigneur. »


SERMON XLVIII. SE JUGER SOI-MÊME.[9].

ANALYSE. – Dans ce discours, qui n’est, à vrai dire, que la première partie du suivant, saint Augustin explique ce que le prophète Michée entend par se juger soi-même. Se juger soi-même, c’est condamner le mal que l’on trouve en soi afin de pouvoir acquérir les vertus que l’on n’a pas et particulièrement se conformer à Dieu, en qui tout est bien, sans se scandaliser de la prospérité éphémère et apparente des méchants.


1. Nous venons d’entendre les leçons des divins oracles ; elles nous sont présentées comme un sujet de discours ; nous devons les méditer, et avec le secours de Celui qui nous tient dans sa main, nous et nos paroles, ainsi qu’il est écrit[10], répandre en vous, comme une semence féconde, ce que nous y avons puisé. Ce n’est pas non plus sans raison qu’il est dit ailleurs : « Je louerai en Dieu sa parole, je glorifierai la pensée dans le Seigneur[11]. » On glorifie en Dieu ce qu’il donne, et malgré notre faiblesse, nous sommes comme des vases consacrés à son service ; nous recevons en nous autant qu’il est possible et nous le communiquons sans envie. Qu’il daigne seulement suppléer dans vos cœurs à ce qui manque de notre part. Qu’est-ce, hélas ! que nous

  1. Sag. 8, 1
  2. Lc. 19, 8
  3. Mt. 4, 20
  4. Lc. 21, 2-4
  5. Mt. 10, 42
  6. Lc. 2, 14
  7. Ps. 2, 8
  8. Id. 15, 6
  9. Mic. 6, 6-8
  10. Sag. 7, 16
  11. Prov. 55, 14