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jugement. » Au lieu donc que cette perdrix s’enrichit sans jugement, le divin Pasteur fait paître son troupeau avec discernement. En quoi la perdrix manque-t-elle de jugement ? En ce qu’elle rassemble des neufs qu’elle n’a pas produits. En quoi se montre le discernement du divin Pasteur ? En ce qu’il nourrit ses propres enfants. Toutefois nous parlons encore du bon Pasteur. Il n’y en a donc pas de bons ou il n’en est pas parlé. S’il n’en est pas de bons, que faisons-nous ici ? S’il n’en est pas parlé, pourquoi ce silence ? D’anciens Pères et des commentateurs de l’Écriture qui nous ont précédés ont vu le diable dans cette perdrix qui rassemble ce qu’elle n’a pas produit. Le diable en effet n’est pas créateur, mais trompeur, et il rassemble des trésors sans jugement. Peu lui importe de quelle manière on s’égare ; tous les égarés et toutes les erreurs lui sont bonnes. Combien n’y a-t-il pas d’hérésies diverses et de diverses erreurs ? Il veut que toutes servent à perdre l’homme. Il ne dit pas : qu’on soit Donatiste, non pas Arien ; qu’on soit l’un ou l’autre, on lui appartient, car il amasse sans discernement. Que celui-ci, dit-il, adore les idoles, il est à moi ; que celui-là demeure attaché aux superstitions des Juifs, il est à moi encore ; que cet autre, après être sorti de l’unité, tombe dans telle ou telle hérésie, je le tiens également. Il amasse donc et s’enrichit sans discernement. Et qu’arrive-t-il ? « On le quittera au milieu de ses jours et à la fin on verra sa folie [1]. » Il vient rassembler ses brebis de toutes parts. « Au milieu de ses jours », et plus-tôt qu’il ne s’y attendait, plutôt qu’il ne pensait, « elles l’abandonneront « et à la fin paraîtra sa folie. » Pourquoi paraissait-il sage au début tandis qu’à la fin il paraît insensé ? Écoutez, mes frères. La sagesse est dans l’Écriture prise quelquefois pour la ruse, c’est par figure et non dans le sens propre. C’est ainsi qu’il est dit : « Où est le sage ? où est le scribe ? Où est l’investigateur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde[2] ? » Or cette perdrix, ce dragon, ce serpent semblait sage lorsque par Eve il séduisit Adam ; il paraissait dire vrai, donner un bon conseil et on le crut plutôt que Dieu. Ce qui prouve que le mot de sagesse est pris improprement et en mauvaise part dans nos Écritures ; car peu nous importe de savoir comment s’expriment les écrivains profanes, ce sont ces paroles du même livre : « Le serpent était le plus sage de tous les animaux. [3] » Plus sage, c’est-à-dire plus rusé, plus habile à tromper. Mais dans la suite on n’a plus foi en lui, on lui dit Nous te renions, c’est assez que tu aies surpris une première fois notre simplicité. Ainsi paraîtra-t-il à la fin insensé, ses fraudes seront découvertes et ne seront plus alors des fraudes. On verra donc quelle a été sa folie de recueillir ce qui ne lui appartenait pas et d’amasser des richesses sans discernement. Notre Rédempteur au contraire paît avec jugement.
29. Voici un hérétique ; s’il n’est pas frère du diable, il en est l’aide et le fils, je puis dire aussi qu’il est une perdrix, un animal rusé. La perdrix en effet, les oiseleurs le savent, se fait prendre par ses propres ruses ; et les hérétiques rusent aussi contre la vérité, toujours ils ont rusé contre elle, depuis qu’ils s’en sont séparés. Ils disent aujourd’hui : Nous ne voulons pas lutter, mais c’est qu’ils sont pris, c’est qu’ils n’ont plus de prétexte pour tenir ce langage. Vaincu, je te reconnais ; c’est bien toi qui dans les premiers moments de ta rébellion accusais les catholiques de s’être faits traditeurs, condamnais des innocents, en appelais au jugement de l’Empereur, ne te soumettais pas à la sentence des évêques, ne cessais d’en appeler après avoir été tant de fois convaincu, plaidais devant l’Empereur même avec une ardeur non pareille, et amassais ce que tu n’avais pas produit. Où est maintenant ta fierté ? Où est ton éloquence ? Où est ton sifflet ? Toi aussi tu as montré à la fin ta folie, tu t’es conduit sans discernement. Ce n’est pas un jugement véridique que tu demandes ni sur ton erreur ni sur la vérité. Mais pour s’opposer à toi le Christ paît avec jugement et discerne ses ouailles des tiennes. « Celles qui sont mes brebis, dit-il, entendent ma voix et me suivent[4]. »
30. Ici donc j’aperçois tous les bons pasteurs dans l’unique Pasteur. Les bons pasteurs, à vrai dire, ne sont pas plusieurs, ils sont un dans un seul. S’ils étaient plusieurs, ils seraient divisés ; pour recommander l’unité, il n’est parlé que d’un seul. Si dans notre texte en effet il n’est point parlé de plusieurs bons pasteurs mais d’un seul, ce n’est pas que le Seigneur ne trouve personne aujourd’hui à qui confier son troupeau comme il l’a confié à Pierre, autrefois. S’il l’a confié à Pierre, c’était plutôt pour recommander en lui l’unité. Les Apôtres étaient plusieurs et à l’un

  1. Jer. 17, 11
  2. 1 Cor. 1, 20
  3. Gen. 3, 1-6
  4. Jn. 10, 27