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riche, ils ne disaient rien du pauvre ; le Seigneur fit le contraire, il mit en lumière le nom du pauvre et tut celui du riche. Ce riche ne voulut donc pas être fidèle avec le pauvre. Tous deux moururent. « Il arriva que le mendiant mourut et fut porté par les Anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi et fut enseveli : » peut-être le pauvre ne le fut-il même pas. Quoi qu’il en soit, « lorsqu’il était dans les tourments de l’enfer, comme nous lisons dans l’Écriture, il éleva ses yeux de loin et vit dans le sein d’Abraham ce mendiant méprisé par lui à la porte de son palais. » Il n’avait pas voulu avoir la même foi que lui ; il ne put jouir du même repos. « Père Abraham, s’écria-t-il, envoyez Lazare tremper son doigt dans l’eau et en faire tomber une goutte sur ma langue, car je suis torturé dans cette flamme. » Il lui fut répondu : « Souviens-toi, mon fils, que tu as reçu tes biens dans ta vie et Lazare les maux ; or maintenant il se repose et toi tu es tourmenté. Et par-dessus tout cela, il y a entre nous et vous un grand abîme et personne ne saurait ni d’entre nous aller jusqu’à vous, ni d’entre vous venir ici. » Ce malheureux comprit qu’on lui refusait toute compassion parce que lui-même en avait manqué. Il comprit la vérité de cette sentence : « Jugement sans miséricorde pour qui n’a point fait miséricorde [1]. » Il avait refusé au temps convenable d’avoir pitié du pauvre et quand il fut trop tard il eut pitié de ses frères. « Envoyez donc Lazare, dit-il, j’ai cinq frères, qu’il leur apprenne ce qui se passe ici, pour les empêcher de venir eux-mêmes dans ce lieu de supplices. » S’ils ne veulent pas venir dans ce lieu de supplices, lui fut-il alors répondu, « ils ont Moïse et les prophètes, qu’il les écoutent. » Ce riche avait tourné les prophètes en dérision ; il le faisait sans doute avec ses frères ; car je le crois et j’en suis même certain, lorsqu’avec ses frères il parlait des prophètes et de leurs sages conseils et de leurs sévères menaces, des tourments futurs et des futures récompenses qu’ils annonçaient, il riait de tout cela et disait à ses frères. Quelle vie peut exister après la mort ? Quelle peut être la mémoire d’une chair en dissolution et le sentiment d’un corps réduit en poudre ? Tous sont emportés et ensevelis. Qui a-t-on jamais cité pour en être revenu ? Au souvenir de ces propos qu’il avait tenus, il voulait donc que Lazare retournât vers ses frères, il voulait qu’ils ne pussent plus dire Qui en est revenu ? C’est ce qui explique le parfait à-propos de la réponse. Car le mauvais riche paraît avoir été un juif, aussi donne-t-il à Abraham le nom de Père, et il convenait entièrement de lui faire entendre ces mots : « S’ils n’écoutent ni Moïse, ni les prophètes, ils ne croiront pas non plus un homme ressuscité d’entre les morts[2]. » C’est ce qui se voit dans les Juifs ; ils n’ont écouté ni Moïse ni les prophètes et ils n’ont pas cru davantage le Christ ressuscité. N’est-ce pas ce qu’antérieurement le Sauveur leur avait prédit en ces termes : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi[3] ? »
5. Ce riche demeura donc sans secours dans les peines éternelles, après être arrivé au terme de ses délices temporelles. Il n’avait pas pratiqué la justice ; il entendit ce qu’il méritait « Souviens-toi que tu as reçu tes biens dans ta vie. » Cette vie que tu aperçois n’est donc pas la tienne. « Tu as reçu tes biens; » donc aussi ces biens après lesquels tu soupires avec tant d’ardeur et de si loin, ne sont pas à toi. Où sont ces réflexions des riches et de leurs adulateurs quand ils voient un homme comblé de prospérités temporelles, avec de vastes domaines qu’il étend, multiplie comme pour attirer à lui le plomb avec lequel il doit être submergé ? Ce fut en effet sous ce poids que ce riche tomba dans les enfers, c’est sous ce lourd fardeau qu’il fut précipité jusqu’en ses profondeurs. Il n’avait pas ouvert l’oreille à cette invitation : « Venez à moi, vous qui prenez de la peine et qui êtes chargés. Mon joug est doux et mon fardeau léger[4]. » Le fardeau du Christ est comme des ailes. Le mendiant, avec ces ailes, s’envola dans le sein d’Abraham, et le riche ne voulut point en entendre parler. Il préféra le langage des flatteurs. Ce bruit le rendit sourd aux enseignements des prophètes, et il se plaisait n entendre les perfides adulateurs lui dire : Il n’y a que vous, vous seuls vivez réellement. Donc : « Tu as reçu tes biens dans ta vie. » Car tu les croyais à toi sans en imaginer, sans en espérer d’autres, et « tu les as recueillis dans ta vie. » Tu pensais en effet n’avoir d’autre vie que cette vie et tu n’espérais rien, tu ne redoutais rien après la mort. « Tu as donc recueilli tes biens dans ta, vie, et Lazare les maux. » Non pas ses maux, mais les maux, ce que les hommes

  1. Jac. 2, 18
  2. Lc. 16, 19-31
  3. Jn. 5, 46
  4. Mt. 11, 28-29