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et les souffrances qu’il passe en revue, Paul ne mentionne pas seulement les prisons, les naufrages et les autres épreuves de ce genre, mais aussi la faim et la soif, le froid et la nudité[1]. Ne nous figurons pas toutefois en lisant cela, que le Seigneur ait manqué à ses promesses, parce que, en cherchant le royaume de Dieu et sa justice, l’Apôtre a souffert la faim, la soif et la nudité, bien qu’on nous ait dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Le médecin à qui nous nous sommes confiés sans réserve, de qui nous tenons les promesses de la vie présente et de la vie future, sait quand il doit, dans notre intérêt, nous accorder ou nous retirer ces ressources, lui qui nous gouverne et nous dirige en cette vie à travers les consolations et les épreuves, pour nous établir solidement ensuite dans le repos éternel. Et l’homme lui-même, en retirant souvent la nourriture à sa bête de charge, ne la néglige pas pour autant, mais travaille à lui rendre la santé.


CHAPITRE XVIII.

NE PAS JUGER LES AUTRES SI L’ON NE VEUT PAS ÊTRE JUGÉ.

59. Et comme en se procurant ces ressources pour l’avenir, ou en les réservant s’il n’y a pas lieu de les dépenser sur l’heure, on peut agir avec des intentions différentes, avec un cœur simple ou avec un cœur double, le Seigneur a raison d’ajouter : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés ; car d’après le jugement selon lequel vous aurez jugé, vous serez jugés, et selon la mesure avec laquelle vous aurez mesuré, mesure vous sera faite. » Ici, je pense, le Seigneur nous ordonne simplement d’interpréter en bonne part tous les actes dont l’intention est douteuse. En effet quand il dit : « Vous les connaîtrez à leurs fruits » il parle des actions dont le but est manifeste, et qui ne peuvent procéder d’un bon principe ; comme, par exemple, les crimes contre la pudeur, les blasphèmes, les vols, l’ivrognerie et autres de ce genre dont il nous est permis de juger, au dire de l’Apôtre : « En effet m’appartient-il de juger ceux qui sont dehors ? Et ceux qui sont dedans n’est-ce pas vous qui les jugez[2] ? » Mais quant à la nature des aliments, comme on peut, avec une intention droite, un cœur simple et en dehors de toute concupiscence, user indifféremment de toute nourriture propre à l’homme, le même Apôtre ne voulait pas que ceux qui manquaient de la viande et buvaient du vin fussent jugés par ceux qui s’abstenaient de ces aliments : « Que celui qui mange, dit-il, ne méprise pas celui qui ne mange point, et que celui qui ne mange point, ne condamne pas celui qui mange. » Et il ajoute : « Qui es-tu, toi qui juges le serviteur d’autrui ? C’est pour son maître qu’il demeure ferme ou qu’il tombe[3]. » Les Romains voulaient en effet, n’étant que des hommes, juger des actions qui peuvent procéder d’une intention droite, simple, élevée, comme aussi d’un mauvais principe, et porter un arrêt contre les secrets du cœur, dont Dieu s’est réservé le jugement.

60. A ce sujet se rapporte encore ce que l’Apôtre dit ailleurs : « Ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les pensées secrètes des cœurs ; et alors chacun recevra de Dieu sa louange[4]. » Il y a donc certaines actions indifférentes, dont le motif nous est inconnu, qui peuvent procéder d’un bon ou d’un mauvais principe, et qu’il est téméraire de juger, surtout de condamner. Or un temps viendra où elles seront jugées, quand le Seigneur éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des cœurs. » Le même Apôtre dit encore en un autre endroit : « Les péchés de quelques-uns sont manifestes et les devancent au jugement. » Par péchés manifestes il entend les actes dont l’intention est évidente ; ceux-là précédent le coupable au jugement, c’est-à-dire que le jugement auquel ils donnent lieu, n’est point téméraire. Puis viennent les actions secrètes, mais qui seront manifestées en leurs temps. Cela s’applique aussi aux bonnes œuvres ; car l’Apôtre ajoute : « Pareillement les œuvres bonnes sont manifestes, et celles qui ne le sont pas ne peuvent rester cachées[5]. » Jugeons donc de ce qui est manifeste ; laissons Dieu juger de ce qui est caché ; parce que ce qui est caché, soit bien, soit mal, ne pourra rester tel, quand viendra le jour des manifestations.

61. Or le jugement téméraire doit être évité dans deux cas : quand on ignore le motif d’une

  1. 2Co. 11, 23-27
  2. 1Co. 5,12
  3. Rom. 14, 3-4
  4. 1Co. 4, 5
  5. 1Ti. 5, 24, 25