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accomplissent la volonté de Dieu ; non parce qu’ils font que Dieu veuille, mais parce qu’ils font ce qu’il veut, c’est-à-dire agissent selon sa volonté.
22. Il y a encore un autre sens : « que votre volonté soit faite dans la terre comme au ciel » c’est-à-dire chez les pécheurs, comme chez les saints et les justes. Et ceci peut aussi s’entendre de deux manières : ou que nous prions pour nos ennemis, car peut-on considérer autrement ceux contre le gré desquels le nom chrétien et catholique se propage ? en sorte que ces paroles : « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » veuillent dire que les pécheurs fassent votre volonté comme les justes, et qu’ils se convertissent. Ou bien : « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » signifie que chacun soit traité selon ses mérites : ce qui arrivera au dernier jugement, quand les justes seront récompensés et les pécheurs condamnés, quand les agneaux seront séparés des boucs[1].
23. Une interprétation, qui n’est point déraisonnable, mais qui s’accommode au contraire parfaitement à notre foi et à notre espérance, c’est d’entendre, par ciel et terre, l’esprit et la chair. Quand l’Apôtre dit : « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché[2] » nous voyons la volonté de Dieu s’accomplir dans l’esprit, c’est-à-dire dans l’âme. Mais quand la mort aura été absorbée dans sa victoire, quand ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, ce qui arrivera à la résurrection de la chair, lors du changement promis aux justes, selon l’enseignement du même Apôtre[3] ; alors la volonté de Dieu sera faite sur la terre comme au ciel : c’est-à-dire, comme l’esprit ne résistera plus à Dieu, mais lui obéira et fera sa volonté ; de même le corps ne résistera plus à l’esprit ou à l’âme, qui est maintenant accablée par l’infirmité du corps et entraînée aux habitudes charnelles. Ce sera alors la paix parfaite dans la vie éternelle, en sorte que non seulement nous pourrons vouloir le bien, mais encore le faire. « Car maintenant, nous dit l’Apôtre, le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l’y trouve pas : » parce que la volonté de Dieu ne s’accomplit pas encore sur la terre comme au ciel, c’est-à-dire dans la chair comme dans l’esprit. Cependant la volonté de Dieu se fait dans notre misère, quand nous souffrons par la chair ce qui nous est dû en raison de la mortalité que notre nature a contractée par le péché : mais il faut demander que cette volonté se fasse sur la terre comme au ciel, c’est-à-dire que, comme notre cœur se complaît dans la loi, selon l’homme intérieur[4], ainsi, par la transformation de notre corps, aucune partie de nous-mêmes ne mette obstacle à cette complaisance, par des douleurs ou des plaisirs terrestres.
24. Nous pouvons encore, sans blesser la vérité, traduire ces paroles : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » par celles-ci : dans l’Église, comme dans Notre Seigneur Jésus-Christ ; dans la femme qui lui a été fiancée, comme dans l’Époux quia accompli la volonté du Père. En effet le ciel et la terre peuvent, en quelque sorte, être considérés comme époux, puisque la terre est fécondée par l’influence du ciel.

CHAPITRE VII. LE PAIN QUOTIDIEN.


25. La quatrième demande est : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Le pain quotidien signifie ici ou tout ce qui nécessaire aux besoins de cette vie, à propos de quoi le Seigneur ajoute : « donnez-nous aujourd’hui » conformément à l’ordre tracé ailleurs : « Ne pense pas au lendemain » ou le sacrement du corps du Christ, que nous recevons tous les jours : ou la nourriture spirituelle dont le même Seigneur nous dit : « Travaillez, non en vue de la nourriture qui périt » et encore : « Je suis le pain de vie qui suis descendu du ciel[5]. » Mais on peut examiner lequel de ces trois sens est le plus probable. Peut-être pourrait-on s’étonner que nous soyons obligés de prier pour obtenir ce qui est nécessaire à la vie du corps, comme la nourriture et le vêtement, par exemple, quand le Seigneur nous dit : « Ne vous inquiétez point de ce que vous mangerez, ni de quoi vous vous vêtirez. » Or, peut-on ne pas s’inquiéter de ce qu’on demande, alors que l’attention de l’esprit doit être fixée dans la prière sur l’objet de sa demande tellement que c’est à cela qu’il faut rapporter ce que le Sauveur a dit de la chambre dont on doit fermer les portes, et aussi ces paroles : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et toutes ces choses vous seront données par surcroît ? »

  1. Mt. 25, 33-46
  2. Rom. 7, 25
  3. 1 Cor. 15, 42,55
  4. Rom. 7, 18,22
  5. Jn. 6, 17-41