CHAPITRE XII. SUGGESTION, DÉLECTATION, CONSENTEMENT.
33. « Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras point l’adultère. Mais moi je vous dis que quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l’adultère dans son cœur. » C’est donc la justice moindre de ne pas commettre l’adultère par l’acte charnel ; mais la justice plus grande est de ne pas même le commettre dans son cœur. Or quiconque ne commet point l’adultère dans son cœur, a bien plus de facilité à se tenir en garde contre l’adultère, charnel. Ainsi donc celui qui a donné le premier commandement l’a fortifié par le second ; car il n’est pas venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir. Sans doute il est à remarquer qu’il n’a point dit : « quiconque » aura convoité une femme, mais : « aura regardé une femme pour la convoiter » c’est-à-dire dans le but et dans l’intention de la convoiter : ce qui n’est plus simplement éprouver les sollicitations de là chair, mais donner plein consentement à la passion déréglée, jusqu’à ne réprimer point le désir illicite, mais l’assouvir si l’occasion s’en présente.
34. Ces trois choses sont nécessaires pour compléter le péché ; la suggestion, la délectation et le consentement. La suggestion provient ou de la mémoire ou des sens, c’est-à-dire de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût ou du toucher. Si la délectation porte à la jouissance il faut réprimer cette délectation, car elle est coupable. Par exemple quand nous jeûnons, l’aspect de la nourriture éveille l’appétit ; mais nous n’y consentons pas et nous le soumettons au joug de la raison. Si nous donnons notre consentement, le péché est complet ; Dieu le voit au fond de notre cœur, bien qu’il reste ignoré des hommes. Voilà donc les trois degrés : la suggestion sous la forme de serpent pour ainsi dire, c’est-à-dire glissante et sinueuse, effet du mouvement passager des corps. Que si telles et telles images se présentent dans l’âme, elles proviennent du dehors, du monde du corps ; et si quelque mouvement secret agite l’âme, en dehors de l’action des cinq sens, il est lui-même passager et lubrique ; et plus il met de mystère à envahir la pensée, plus il y a de justesse à la comparer au serpent. Ces trois conditions, dont je parlais au commencement, se retrouvent dans le fait raconté dans la Genèse : la suggestion et une certaine persuasion, figurée par le serpent ; la délectation dans l’appétit charnel, représentée par Eve ; et le consentement de la raison, donné par Adam. Après quoi l’homme est expulsé du paradis, c’est-à-dire, de la bienheureuse lumière de la justice, il passe à la mort[1], et cela le plus justement possible. Car conseiller n’est pas forcer. Toute chose est belle de sa nature, dans son degré et à son rang ; mais il ne faut pas descendre de l’ordre supérieur, où l’âme raisonnable a sa place, à un ordre inférieur. Et personne n’est forcé de le faire ; et celui qui le fait est justement puni de Dieu, puisqu’il agit volontairement. Toutefois, avant que l’habitude soit contractée, la délectation est nulle, ou si faible qu’elle est presque nulle ; mais y consentir quand elle est illicite, est un grand péché. Or par le seul consentement, on commet le péché en son cœur. Si l’acte se consomme au dehors, la passion semble s’assouvir et s’éteindre ; mais ensuite, la suggestion se reproduit, la délectation devient plus ardente, moins cependant encore que quand des actes fréquents en ont fait une habitude ; car alors elle est très-difficile à vaincre. Et pourtant on peut encore, sous la direction et avec l’aide de Dieu, surmonter même l’habitude, pourvu qu’on ne s’abandonne pas soi-même et qu’on ne redoute point le combat du chrétien. Par là, recouvrant leur paix d’autrefois et reprenant leurs places, l’homme est soumis au Christ et la femme à son époux[2].
35. De même donc qu’il y a trois degrés pour arriver au péché : la suggestion, la délectation, le consentement ; de même il y a trois espèces de péchés : le péché de cœur, le péché d’action et le péché d’habitude, qui sont comme trois morts l’une s’opère dans la maison, pour ainsi dire, quand le cœur consent à la passion ; l’autre franchit en quelque sorte le seuil et se montre au dehors, quand on produit volontairement l’acte extérieur ; la troisième a lieu quand, par la violence de l’habitude, l’âme est comme écrasée sous le poids de la terre et exhale la puanteur du sépulcre. Quiconque a lu l’Évangile sait que le Seigneur a ressuscité des morts de ces trois espèces. Et peut-être a-t-on remarqué la différence de langage, de la part du Sauveur, qui dit d’abord : « Jeune fille, lève-toi[3] » puis : « Jeune homme, je te le commande, lève-toi[4] » et