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saint Paul, établir l’ordre des apparitions aux disciples. Le, contexte de tous ces auteurs prouve que le Sauveur apparut d’abord à Pierre. Qui néanmoins oserait avancer ou nier en face du silence de l’Écriture, qu’un autre que Pierre eut la préférence ? Saint Paul ne dit pas : Jésus apparut d’abord, mais : « Jésus apparut à Pierre, ensuite aux douze et enfin à plus de cinq cents de nos frères en même temps. » L’Apôtre ne dit ni quels étaient les onze auxquels il apparut, ni quels étaient ces cinq cents. Il peut se faire que ces douze ont été du nombre des disciples, je ne sais lesquels, car les apôtres n’étaient plus douze, mais onze ; aussi quelques exemplaires ne portent que le chiffre onze ; ce que j’explique assez facilement en supposant que les copistes se souvenant que la mort de Judas réduisait à onze le nombre des disciples, auront corrigé dans ce sens le texte primitif. Cependant, soit que les véritables exemplaires soient ceux qui écrivent onze, soit que saint Paul ait voulu désigner par ce nombre de douze des disciples différents des Apôtres, ou même ces onze apôtres par le nombre de douze, car le nombre douze était pour eux si sacré et si mystérieux qu’il fallut pour en conserver la signification profonde, le compléter par l’élection de saint Matthias, en remplacement de Judas[1]; toujours est-il que l’on ne peut signaler entre tous ces textes aucune contradiction réelle. Disons néanmoins qu’il est assez probable que Jésus apparut d’abord à Pierre, puis aux deux disciples d’Emmaüs dont l’un s’appelait Cléophas, et dont nous a parlé saint Luc, et auxquels saint Marc fait allusion dans les paroles suivantes : « Après cela il apparut dans une autre forme à deux d’entre eux qui se dirigeaient vers une villa. » Rien n’empêche, en effet, de désigner le bourg sous le nom de villa ou maison des champs. N’est-ce pas sous ce nom que l’on désigne aujourd’hui Bethléem qui autrefois portait le nom de cité ? et cependant jamais Bethléem ne fut entourée d’autant de gloire et de renommée que depuis la naissance du Messie, dont le nom est si hautement célébré dans toutes les Églises. Les exemplaires grecs emploient plutôt le nom de champ que le nom de villa ; or ce mot champ désigne non-seulement les châteaux ou maisons détachées, mais aussi les municipes et les colonies, situées en dehors de la ville, qui en est comme le chef et la mère, d’où lui vient le nom de métropole.

72. Saint Marc nous dit que Jésus apparut sous une autre forme aux deux disciples ; saint Luc a exprimé la même pensée en disant que leurs yeux étaient retenus pour qu’ils ne le reconnussent pas. En effet, quelque chose était venu affecter leurs yeux et y resta jusqu’à la fraction du pain, en sorte que, jusqu’à ce moment, ils ne virent le Sauveur que sous une forme étrangère qui disparut à la fraction du pain, comme le rapporte saint Luc. C’était par une sorte d’aveuglement d’esprit qu’ils ignoraient qu’il fallait que le Christ mourût et ressuscitât ; et pour ce motif quelque chose de semblable affecta leurs yeux et les rendit incapables de découvrir la vérité ; ce n’était pas la vérité qui les trompait, c’était eux qui voyaient autre chose que ce qui était. De même que personne ne se flatte de connaître Jésus-Christ, s’il ne participe pas à son corps, c’est-à-dire à l’Église dont l’unité nous est figurée dans le sacrement du pain, d’après ce témoignage de l’Apôtre : « Tout nombreux que nous soyons, nous sommes un seul pain, un seul corps[2]. » Aussi, c’est quand Jésus leur présenta le pain consacré, que leurs yeux s’ouvrirent et qu’ils le reconnurent ; ils s’ouvrirent à sa connaissance, parce que l’obstacle qui les empêchait de le reconnaître, disparut aussitôt. Ils ne marchaient pas les yeux fermés, mais quelque chose les empêchait de reconnaître ce qu’ils voyaient : un brouillard ou une humeur produisent d’ordinaire des effets semblables. Je ne veux pas dire cependant que le Seigneur ne pouvait pas transformer son corps et se revêtir d’un autre extérieur que celui sous lequel ils avaient coutume de le contempler ; avant sa passion, il s’était ainsi transformé, et son visage brillait de tout l’éclat du soleil[3]. Celui qui a le pouvoir de changer l’eau en vin ne pouvait-il pas faire d’un corps véritable un autre corps véritable[4] ? Mais ce n’est pas ce changement que le Sauveur avait opéré, en apparaissant d’une autre manière aux deux disciples. Comme leurs yeux étaient retenus, afin qu’ils ne le reconnussent pas, il ne leur apparut pas réellement ce qu’il était. Rien n’empêche d’admettre que ce fut le démon lui-même qui plaça devant leurs yeux un obstacle qui les empêcha de reconnaître Jésus ; mais le Sauveur ne le permit que jusqu’à la fraction du pain sacramentel ; aussitôt qu’on a participé à l’unité de son corps, tout obstacle ennemi doit disparaître et on peut reconnaître Jésus.

  1. Act. 2, 26
  2. 1Co. 10, 17
  3. Mat. 17, 2
  4. Jn. 2, 7-11