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m’a donné, ne veux-tu pas que je le boive ? » Saint Luc continue son récit en disant que Jésus toucha l’oreille de celui qui avait été frappé, et le guérit.

17. On soulève des difficultés au sujet de ce passage de saint Luc, où le Seigneur interrogé par ses apôtres, s’ils devaient frapper de l’épée, répondit : « Laissez aller jusque-là », comme s’il eût approuvé ce qui venait de se passer, tout en défendant d’aller plus loin. Dans saint Matthieu, au contraire, on voit clairement que ce coup de hardiesse de saint Pierre a déplu au Sauveur. Voici la vérité, je crois. À cette question des apôtres : « Maître, si nous frappions de l’épée ? » le Sauveur répondit : « Laissez aller jusque-là », c’est-à-dire, ne vous opposez point à ce qui va arriver, car je dois permettre à mes ennemis de pousser la haine envers moi, jusqu’à s’emparer de ma personne, afin que les Écritures s’accomplissent. Mais dans l’intervalle qui suivit la demande et précéda la réponse, Pierre, saisi d’un enthousiasme plus vif pour son Maître et du désir de le défendre, frappe le serviteur du grand-prêtre. Or, il est évident qu’il fallut plus de temps pour poser la question et y répondre qu’il n’en fallut a saint Pierre pour frapper son ennemi. En effet, le texte porte : « Et Jésus répondit », c’était donc à la question qu’il répondit et non à l’acte de Pierre. Saint Matthieu, seul, nous fait connaître la pensée du Sauveur, sur l’empressement de son disciple. Dans ce passage, saint Matthieu ne dit pas de Jésus : « Il répondit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau ; » nous lisons : « Alors il dit à Pierre : Remets ton épée ; » ce qui n’a pu être dit qu’après l’acte de Pierre. Si saint Luc porte : « Jésus répondit. Laissez aller jusque-là ; » cette réponse dut évidemment être faite à ceux qui l’avaient interrogé ; mais parce que, comme nous l’avons observé, le coup fut porté dans l’intervalle de la demande et de la réponse, l’écrivain sacré, polir suivre l’ordre des faits, a cru devoir mentionner l’action entre la demande et ta réponse. Il n’y a donc aucune contradiction à tirer de ces paroles de saint Matthieu : « Tous ceux qui prendront l’épée, qui en feront usage périront par l’épée. » Il en serait autrement si le Seigneur, dans sa réponse, avait paru approuver l’usage spontané du glaive, ne fût-ce que pour une seule blessure, et ne fût-elle pas mortelle. Enfin, rien ne s’oppose à ce que l’on applique à saint Pierre la réponse tout entière, telle que nous la trouvons dans saint Luc et saint Matthieu : « Laissez aller jusque-là ; remets a ton glaive dans le fourreau. Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée, etc. » J’ai expliqué le sens de ces expressions : « Laissez aller jusque-là ; » si l’on peut en donner une meilleure interprétation, j’y consens ; Pourvu cependant qu’on n’ébranle pas la vérité ni l’accord des récits évangéliques.

18. Saint Matthieu continue, et met sur les lèvres du Sauveur ces autres paroles, prononcées à l’heure même : « Vous êtes venus, armés d’épées et de bâtons, pour me prendre, comme un larron. Cependant, je me suis trouvé tous les jours au milieu de vous, siégeant et enseignant dans le temple ; et vous n’avez pas mis la main sur moi. Mais, selon le texte de saint Luc, voici votre heure et celle de la puissance des ténèbres. Or, selon saint Matthieu, tout cela se passa afin que toutes les prophéties fussent accomplies. Alors tous les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent », comme l’atteste aussi saint Marc, qui continue ainsi : « Jésus était suivi par un jeune homme couvert d’un linceul ; et comme on voulait le saisir, il abandonna son linceul aux mains de ceux qui le tenaient et s’enfuit sans aucun vêtement. »

CHAPITRE VI. JÉSUS DEVANT LE PRINCE DES PRÊTRES. – RENIEMENT DE SAINT PIERRE.

19. « Ces gens, s’étant donc saisis de Jésus, le conduisirent chez Caïphe, prince des prêtres, où les Scribes et les anciens du peuple s’étaient rassemblés[1]. » Mais, d’après saint Jean, Jésus fut d’abord conduit chez Anne beau-père de Caïphe[2]. Saint Marc et saint Luc ne désignent pas le nom du pontife[3]. Or Jésus frit conduit garrotté, parce que, d’après saint Jean, il y avait dans la foule un tribun, une cohorte et les ministres des Juifs. « Cependant Pierre le suivait de loin, jusque dans la cour du palais du grand-prêtre, et étant entré il se tenait assis au milieu des serviteurs, afin de voir le dénouement. » A ce récit de saint Matthieu, saint Marc ajoute, que « Pierre se chauffait auprès du feu. » Saint Luc signale le même fait : « Pierre suivait de loin, dit-il ; or, il y avait du feu allumé au milieu de la cour, une grande

  1. Mat. 26, 57-75
  2. Jn. 18, 12-27
  3. Mrc. 14, 53-72 ; Luc. 22, 54-62