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du peuple qui l’avaient questionné sur sa puissance. Cependant s’ils venaient vers lui comme des ennemis pour le tenter, comment les compter parmi ceux qui avaient cru et rendu au Seigneur le témoignage prédit par le prophète ; parmi, ceux aussi qui avaient pu répondre, non par ignorance, mais avec la lumière de la foi : « Il perdra misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons ? » Tout ceci, dis-je, ne doit nullement nous embarrasser, ni nous faire supposer que dans cette foule qui écoutait les paraboles du Seigneur, il n’y ait eu personne pour croire en lui. En effet, saint Matthieu pour abréger a omis ce que nous trouvons dans saint Luc, savoir, que cette parabole s’adressait non-seulement à ceux qui l’avaient questionné sur sa puissance, mais encore à tout le peuple. Voici comment s’exprime ce dernier : « Alors il se mit à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une vigne, », etc. Il faut donc croire que parmi ce peuple il y en avait pour l’écouter, comme il y en avait eu pour dire auparavant : « Béni celui qui vient au nom du Seigneur ; » et que ce furent eux ou quelques-uns d’entre eux qui répondirent : « Il perdra misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d’autres vignerons. » Si saint Marc et saint Luc attribuent cette réponse au Seigneur, ce n’est pas seulement parce qu’étant la Vérité même, il parle quelquefois par la bouche des méchants qui l’ignorent, lorsqu’il dispose secrètement leur esprit sans que leur vertu l’ait mérité, et par un effet de sa Toute-Puissance : mais encore, parce qu’il pouvait y avoir là des hommes en état d’être considérés déjà comme les membres de son corps. À ce titre leurs paroles étaient les siennes. D’ailleurs, il avait déjà baptisé un plus grand nombre d’hommes que Jean[1] ; des disciples le suivaient en foule, comme l’attestent souvent les évangélistes ; parmi eux se trouvaient les cinq cents frères à qui il apparut après sa résurrection, d’après le témoignage de l’Apôtre saint Paul[2]. Ajoutons à l’appui de ceci qu’en saint Matthieu ces paroles : Aiunt illi, ne doivent pas s’entendre comme si illiétait au pluriel, pour indiquer que c’était la réponse de ceux qui l’avaient questionné sur sa puissance. Mais dans: Aiunt illi, illi est au singulier ; ce qui signifie : « On lui répond ; » on répond au Seigneur ; les manuscrits grecs ne laissent là-dessus aucun doute.

139. Il y a dans l’évangéliste saint Jean un discours du Seigneur qui aidera à saisir ma pensée ; le voici : « Jésus disait donc à ceux des Juifs qui croyaient en lui : Pour vous, si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples ; et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. Ils lui répondirent : Nous sommes la race d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne : comment dis-tu, toi : Vous serez libres ? Jésus leur répartit : En vérité, en vérité je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave du péché. Or, l’esclave ne demeure point toujours dans la maison, mais le fils y demeure toujours. Si donc le Fils vous met en liberté, vous serez vraiment libres. Je sais que vous êtes fils d’Abraham ; mais vous cherchez à me faire mourir, parce que ma parole ne prend point en vous[3]. » Assurément il n’adressait point ces mots : « Vous cherchez à me faire mourir », à ceux qui déjà croyaient en lui, et à qui il venait de dire : « Pour vous, si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples. » C’était aux premiers croyants qu’il disait ceci ; mais parmi la foule qui était là, il y avait aussi beaucoup d’ennemis, et quoique l’évangéliste ne désigne point les différents interlocuteurs, on voit assez par le caractère de ce qu’ils disent, et par la réplique de Jésus, à quel genre de personnes il faut attribuer chacune de ces réponses. Or, de même que dans cette foule dont parle saint Jean, il y en avait qui croyaient en Jésus, d’autres qui cherchaient à le faire mourir ; ainsi dans celle dont il est ici question, les uns demandaient malicieusement au Seigneur au nom de qui il agissait ainsi ; il y en avait aussi qui s’étaient écriés, non pas avec hypocrisie, mais avec toute la sincérité de leur foi : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », et qui conséquemment animés du même esprit pouvaient dire encore « Il les perdra, et donnera sa vigne à d’autres. » On peut ajouter que cette réponse est du Seigneur, soit parce qu’il est lui-même la vérité qu’elle exprime, soit à cause de l’union des membres avec leur chef. Il y en avait enfin qui disaient à ces derniers : « À Dieu ne plaise ! » parce qu’ils sentaient que cette parabole était à leur adresse.

  1. Jn. 4, 1
  2. 1Co. 15, 6
  3. Jn. 8, 31-37