Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/190

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui voulait le faire roi ; n’est-il pas évident que du haut de la montagne où il se trouvait d’abord il était descendu sur un terrain plus uni quand les disciples distribuèrent les pains à tout le peuple ? On comprend ainsi comment Jésus put regagner le sommet de la montagne, comme le disent saint Marc et saint Jean. Pourtant nous lisons dans saint Matthieu : « Jésus monta » et dans saint Jean : « il s’enfuit ; » mais ces deux termes ne seraient opposés l’un à l’autre que si en fuyant il n’eût pas monté. Il n’y a pas plus de contradiction quand saint Matthieu écrit : « Il monta sur la montagne pour y prier seul », et que saint Jean nous fait lire : « Ayant su qu’on allait venir pour le faire roi il s’enfuit de nouveau sur la montagne. » Car le motif énoncé par l’un n’exclut pas le motif indiqué par l’autre. Aussi bien le Seigneur, qui a transformé en lui notre corps vil et abject pour le rendre conforme à son corps glorieux[1], nous apprenait en joignant ainsi la prière à la fuite, qu’il y a pour nous grande raison de prier quand il y a raison de fuir. Si saint Matthieu représente d’abord le Sauveur donnant l’ordre aux disciples d’entrer dans une barque afin de passer de l’autre côté du lac, pendant que lui-même renverrait la foule, et nous le montre ensuite allant sur la montagne pour y prier seul ; et si saint Jean le montre fuyant d’abord sur la montagne, et dit seulement ensuite : « Le soir étant venu, ses disciples descendirent près de la mer, et entrant dans une barque ils passèrent de l’autre côté », etc ; il n’y a non plus aucune contradiction. Car ne voit – on pas que pour abréger, et comme on fait souvent, l’Évangéliste rappelle le voyage commandé aux disciples par Jésus avant sa fuite sur la montagne ? Mais comme il ne dit pas qu’il reprend ici un détail antérieur, et surtout parce qu’il l’énonce en deux mots, ceux qui lisent ce passage croient facilement que les choses ont été faites suivant l’ordre où elles sont exposées. C’est encore ainsi qu’après avoir dit que les disciples étant montés sur une barque passèrent au de là de la mer et se rendirent à Capharnaüm, cet Évangéliste raconte que le Sauveur vint à eux marchant sur les eaux lorsqu’ils ramaient péniblement : tandis que, sans aucun doute ce fut dans le cours même de leur navigation vers Capharnaüm.

101. Mais après avoir rapporté le miracle des cinq pains, saint Luc passe à un sujet différent et ne suit plus le même ordre. Il ne parle pas de la barque ni de Jésus marchant sur les eaux ; et après avoir dit : « Ils en mangèrent et furent rassasiés ; et l’on emporta douze paniers des morceaux qui restaient », il ajoute : « Un jour qu’il était seul en prière, ayant ses disciples avec lui, il leur demanda : Qui le peuple dit-il que je suis[2] ? » Ainsi donc tandis que les trois autres Évangélistes nous montrent Jésus marchant sur les eaux pour rejoindre ses disciples qui étaient dans la barque, saint Luc rapporte d’autres faits. Si en disant : « Jésus étant seul en prière », il paraît reprendre comme saint Matthieu qui écrit : « Jésus monta sur une montagne pour prier seul », ne croyons pas pour cela qu’il s’agisse ici de la même montagne où le Seigneur demanda : « Qui dit-on que je suis. » Il est hors de doute que ce l’ut ailleurs, puisqu’en priant seul Jésus avait pourtant ses disciples avec lui. Car saint Luc en disant qu’alors il était seul, n’exclut pas les disciples, comme saint Matthieu et saint Jean qui nous les montrent quittant le Sauveur pour le précéder à l’autre bord de la mer. Aussi cet Évangéliste ajoute formellement : « Et les disciples étaient avec lui. » Si donc il le dit seul, c’est pour faire entendre que la foule ne l’accompagnait pas.


CHAPITRE XLVIII. TERRE DE GÉNÉSAR ET CAPHARNAUM

102. On lit ensuite dans saint Matthieu Ayant passé l’eau ils vinrent dans la terre de Génésar. Or, les habitants ayant connu que c’était Jésus, envoyèrent dans tout le pays et on lui présenta tous les malades en le priant de permettre qu’ils touchassent seulement la frange de sa robe. Et tous ceux qui la touchèrent furent guéris. Alors des Scribes et des Pharisiens venus de Jérusalem s’approchèrent de lui en disant : Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ? Car ils ne se lavent pas les mains quand ils prennent leur repas », et le reste, jusqu’aux mots : « Un homme n’est pas souillé pour manger sans s’être lavé les mains[3]. » Saint Marc raconte les mêmes choses sans la moindre contradiction[4]. Partout où l’un diffère de l’autre pour les termes, il ne laisse pas d’exprimer la même pensée. Mais tout occupé selon sa coutume des discours du Seigneur, saint jean quitte la barque où le Sauveur était monté

  1. Phi. 3, 21
  2. Luc. 9, 17-18
  3. Mat. 14, 34 ; 15, 20
  4. Mrc. 7, 1-23