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effet le texte de saint Marc : « Et il arriva, dit-il, en gardant le même ordre, que Jésus étant à table dans la maison de cet homme beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie y étaient avec lui et avec ses disciples[1]. » Quand il dit « dans la maison de cet homme », il désigne évidemment celui dont il vient de parler, c’est-à-dire Lévi. Ainsi encore, saint Luc, après ces mots : « Jésus lui dit : Suis-moi ; et quittant tout, il se leva et le suivit ; » ajoute aussitôt : « Et Lévi lui lit un grand festin dans sa maison, où il se trouva un grand nombre de publicains et d’autres gens qui étaient avec eux à table[2]. » On sait donc clairement dans quelle maison tout cela se passa.

64. Voyons maintenant, rapportées d’après les trois évangélistes, les paroles qui furent adressées au Seigneur et les réponses qu’il y fit : « Témoins de tout cela, dit saint Matthieu, les Pharisiens disaient à ses disciples : Pourquoi votre maître mange-t-il avec des publicains et des pécheurs ? » Sauf deux mots de plus, cette question a été rapportée de la même manière par saint Marc : « Pourquoi votre maître mange-t-il et boit-il avec des publicains et des pécheurs ? » Saint Matthieu n’a donc pas reproduit les mots : « et boit-il », que nous trouvons dans le texte de saint Marc ; mais qu’importe, puisque dans saint Matthieu le sens est complet et donne pareillement l’idée de convives ? Le récit de saint Luc parait offrir un peu plus de différence : « Or, dit-il, les Pharisiens et leurs Scribes murmuraient, et ils disaient aux disciples de Jésus : D’où vient que vous mangez et buvez avec des publicains et des pécheurs ? » Il ne veut pas sans doute nous faire entendre que ce discours ne regardait pas le divin Maître, mais il veut montrer que le reproche était en même temps dirigé contre le maître et contre les disciples ; que cependant les paroles n’étaient directement adressées qu’aux seuls disciples. Aussi bien, cet évangéliste rapporte lui-même que le Seigneur répondit : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence. » Une pareille réponse n’aurait pas eu de raison, si les mots « vous mangez et vous buvez », n’eussent principalement regardé le Sauveur. Si donc, d’après saint Matthieu et saint Marc, on formule devant les disciples un reproche qui s’adresse au Maître, c’est parce qu’en s’appliquant aux disciples on le fait tomber plus vivement sur le maître dont la vie était la règle de la leur. Ainsi la pensée est la même, et d’autant mieux exprimée, qu’il y a, sans préjudice de la vérité, certaines différences dans les termes. Ainsi encore, quand saint Matthieu rapporte que le Seigneur répondit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien, mais ce sont les malades qui ont besoin de médecin ; allez donc et apprenez ce que veut dire ceci : J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice ; car ce sont les pécheurs et non les justes que je suis venu appeler ; » saint Marc et saint Luc exposent la même pensée à peu près dans les mêmes termes, sauf que ni l’un ni l’autre ne relèvent ce témoignage emprunté au prophète : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Saint Luc, après avoir écrit : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs », ajoute les mots : « à la pénitence. » Ce qui sert à faire mieux ressortir la pensée et empêche de supposer que les pécheurs soient, comme pécheurs, aimés de Jésus-Christ. Car la comparaison même, établie entr’eux et les malades, montre bien que Dieu veut, en les appelant comme un médecin appellerait des malades, les guérir de leur iniquité comme d’une maladie, et c’est ce qui a lieu par la pénitence.

62. Saint Matthieu dit ensuite : « Alors des disciples de Jean s’approchèrent et lui dirent Pourquoi les Pharisiens et nous jeûnons-nous fréquemment, tandis que vos disciples ne jeûnent point ? » Saint Marc dit pareillement : « Or les disciples de Jean et les Pharisiens étaient dans l’usage de jeûner. Plusieurs donc vinrent dire à Jésus Pourquoi les disciples de Jean et ceux des Pharisiens jeûnent-ils, tandis que les vôtres ne jeûnent pas ? » Il n’y a point de différence ; seulement saint Matthieu fait parler uniquement les disciples de Jean, au lieu que d’après saint Marc, les Pharisiens étaient avec eux pour adresser à Jésus la même question. Mais les paroles que nous lisons dans le texte de saint Marc paraissent plutôt avoir été prononcées par d’autres que par ceux qu’elles concernent. Ainsi, quelques-uns des convives s’approchant du Sauveur lui auraient objecté que les disciples de Jean et les Pharisiens avaient coutume de pratiquer le jeûne. Alors ceux dont l’évangéliste dit : « Plusieurs vinrent », ne seraient plus ceux dont il a parlé en disant : « Or les disciples de Jean et les Pharisiens jeûnaient ; » mais des hommes qui, frappés de l’opposition qu’ils voyaient entre l’usage de ceux-

  1. Mrc. 2, 15-82
  2. Luc. 5, 27-89