Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/75

Cette page n’a pas encore été corrigée

Voici donc ce qu’il faut écouter et retenir : « O vous qui craignez Dieu : le grand bien qu’il a fait à mon âme », et si vous le voulez, à la vôtre. « Le bien qu’il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui »[1]. Et ce bien fait à son âme, c’est de pouvoir crier vers Dieu ; voilà ce bien qu’il préconise, comme fait à son âme. Voilà, mes frères, que nous étions païens, sinon en nous-mêmes, du moins en nos pères. Or, que dit l’Apôtre ? « Vous le savez, quand vous étiez païens, vous vous laissiez conduire à des idoles muettes[2] ». Que telle soit maintenant l’hymne de l’Église : « Quel grand bien il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Homme, je m’adressais à la pierre, je m’adressais à un bois sourd, je parlais à des simulacres sourds et muets ; mais l’image de Dieu s’est retournée vers son Créateur. « Moi qui disais au bois : « Tu es mon Père ; et à la pierre : Tu m’as engendré[3] » ; je dis maintenant : « Notre Père, qui êtes aux cieux »[4]. Ma bouche a crié vers lui : « Ma bouche », et non une bouche étrangère. Quand je criais vers la pierre, dans une vie pleine de vanité, à l’exemple de mes pères[5], je criais par une bouche étrangère quand j’ai crié vers le Seigneur, selon le don qu’il m’en a fait, l’inspiration qu’il m’a envoyée, « c’est par ma bouche que j’ai crié vers lui ; et sous ma langue je l’ai glorifié ». Qu’est-ce à dire : « J’ai crié vers lui, je l’ai glorifié sous ma langue ? » Je l’ai prêché en public, je l’ai confessé en secret. C’est que ma langue glorifie le Seigneur ; tu dois le glorifier sous ta langue, c’est-à-dire penser à l’intérieur ce que tu dis avec certitude. « Ma bouche a crié vers lui, et je l’ai glorifié sous ma langue ». Vois quelle intégrité intérieure il désire, celui qui offre des sacrifices de moelle, C’est là, mes frères, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut imiter afin que vous puissiez dire : « Venez et voyez le grand bien qu’il a fait à mon âme ». Tout ce que raconte le Prophète est l’effet de la grâce de Dieu en notre âme. Voyez ce qu’il dit ensuite.
22. « Si dans mon cœur j’ai vu l’injustice, que le Seigneur ne m’exauce point[6] ». Voyez, mes frères, combien facilement, combien journellement les hommes accusent en rougissant les iniquités des autres hommes il a mal agi, agi en fripon, c’est un homme criminel. C’est, là sans doute ce que l’on dit au sujet des hommes. Mais considère si dans ton cœur tu ne vois point l’injustice, de peur de méditer intérieurement ce que tu blâmes dans un autre, et de crier contre lui, non parce qu’il est coupable, mais parce qu’il, est surpris. Reviens à toi, et sois ton juge intérieurement. Dans le secret de ton intérieur, dans la veine intime de ton cœur, où tu es seul avec celui qui te voit, prends à dégoût ton iniquité, afin de plaire à Dieu. Garde-toi d’avoir pour elle un regard de complaisance ou d’amour, mais plutôt un regard de dédain et de mépris, jusqu’à t’en séparer. Et la joie qu’elle t’a promise pour t’entraîner au péché, et les menaces lugubres qu’elle t’a faites, pour te jeter dans les forfaits, tout cela n’est rien, tout cela doit passer : tout cela doit être méprisé, foulé aux pieds, et non pris en considération pour être accepté. Souvent elle s’insinue par la pensée, souvent encore par les conversations des méchants. « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs pour toi, ne te laisse point séduire[7] ». C’est peu d’en détourner les yeux, peu encore de n’en point parler : ne les regarde point du cœur, c’est-à-dire, n’aie pour eux ni inclinaison, ni consentement. Journellement nous prenons le regard pour l’affection ; ainsi nous disons de Dieu : Il m’a regardé. Qu’est-ce à dire : Il m’a regardé ? Avant cela ne te voyait-il donc point ? Ou ses regards, dirigés en haut, ont-ils dû s’abaisser sur toi, provoqués par tes supplications ? Il te voyait, même auparavant ; mais dire : Il m’a regardé, c’est dire : Il m’a aimé. À un homme qui te voit, et dont tu implores la pitié, tu dis : Faites attention à moi. Il te voit cependant, et tu lui dis : Regardez-moi. Qu’est-ce à dire : Regardez-moi ? Accordez-moi votre amour, votre attention, votre pitié. Quand donc le Prophète nous dit : « Si j’ai envisagé l’iniquité dans mon cœur », ce n’est point qu’il n’y ait dans le cœur humain aucune suggestion criminelle. Il y a toujours suggestion, et suggestion incessante ; mais que le regard ne s’y repose point. Regarder l’iniquité, c’est regarder en arrière ; c’est encourir la sentence du Seigneur qui dit dans l’Évangile : « Nul n’est propre au royaume de Dieu, s’il regarde en arrière en mettant les mains à la charrue[8] ». Que me faut-il donc faire ? Ce que nous dit

  1. Ps. 65,17
  2. 1 Cor. 12,2
  3. Jer. 2,27
  4. Mt. 6,9
  5. 1 Pi. 1,18
  6. Ps. 65,18
  7. 1 Cor. 15,33
  8. Lc. 9,62