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L’Écriture a signalé quelque part la rapidité de la parole, rapidité dont nous avons déjà parlé dans un autre psaume, où il est écrit « Sa parole court avec rapidité[1] ». Or, chacun le sait, rien n’est plus rapide que le vent. De même alors que la tenture nous marquait tout à l’heure la facilité de Dieu dans ses œuvres ; car rien n’est plus facile pour l’homme que de déployer une tenture : de même ici, pour nous marquer que Dieu ou son Verbe est présent partout, et que la rapidité de ses mouvements ne lui fait rien abandonner, car nous ne connaissons rien de plus rapide que le vent, le Prophète nous dit : « Il marche sur les ailes des vents », c’est-à-dire que sa rapidité l’emporte sur la rapidité des vents : en sorte que nous devons comprendre par les ailes des vents leur rapidité, que surpasse de beaucoup la parole de Dieu. Voilà le sens qui se présente tout d’abord : mais frappons à la porte intérieure, et voyons ce que veut dire le Prophète sous cette figure.
13. Il n’est pas absurde, par les vents, d’entendre les âmes ; non que l’âme soit un souffle, mais parce que le vent est invisible, bien qu’il soit corporel et qu’il renverse les corps ; néanmoins il se dérobe à la perspicacité de l’œil humain ; notre âme aussi, étant invisible, nous pouvons, sous le nom des vents, comprendre les âmes. De là cette expression, que Dieu souffla l’esprit de vie dans l’homme qu’il venait de former, et que « l’homme eut une âme vivante[2] ». Le vent peut donc très bien désigner les âmes dans le sens allégorique. Et toutefois n’allez point croire que ce mot d’allégorie je l’emprunte aux pantomimes certains mots, en effet, parce qu’ils sont des mots, et que la langue les prononce, nous sont communs avec les jeux du théâtre qui n’ont rien d’honnête ; mais ces expressions ont un sens dans l’Église, et encore un sens au théâtre. Je n’ai rien dit ici que l’Apôtre n’ait dit lui-même, quand, à propos des enfants d’Abraham, il s’écrie : « Tout ceci est une allégorie[3] ». Il y a allégorie quand les paroles semblent nous indiquer un sens, et que l’intelligence en voit un autre. Ainsi, dire que le Christ est l’agneau[4], est-ce dire pour cela qu’il est réellement un agneau ? Dire qu’il est le lion[5], est-ce dire qu’il est animal ? Dire qu’il est la pierre[6], est-ce dire qu’il en a la dureté ? Dire qu’il est la montagne[7], est-ce dire qu’il est un monceau de terre ? C’est ainsi que beaucoup d’expressions semblent désigner un objet, et en désignent un autre en réalité : telle est l’allégorie. Si l’on croit que j’ai emprunté au théâtre le mot d’allégorie, on peut croire également que le Seigneur a aussi pris au théâtre celui de parabole. Voyez à quoi nous oblige une ville qui a tant de spectacles ; je parlerais plus librement à la campagne ; et mes auditeurs n’auraient sans doute connu que par les saintes Écritures le mot d’allégorie, Si donc nous disons que l’allégorie est une figure, il y a allégorie chaque fois qu’un mystère est figuré. Que faut-il dès lors comprendre ici : « Il marche sur l’aile des vents ? » Nous avons dit que les vents peuvent très bien figurer les âmes. Quelles sont les ailes des vents ou des âmes, sinon ce qui leur sert pour s’élever en haut ? Or, les ailes des âmes sont les vertus, les bonnes œuvres, les actions droites. Toutes les plumes forment deux ailes, comme tous les préceptes se résument en deux préceptes. Quiconque aime Dieu et son prochain, a une âme pourvue d’ailes, d’ailes très libres, et il s’élève par l’amour vers le Seigneur. Quiconque s’embarrasse dans un amour charnel, n’a que des ailes pleines de glu. Si l’âme n’avait des plumes et des ailes, comment dirait-elle en gémissant dans ses tribulations : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe ? » et encore : « Je volerai, puis me reposerai[8] ». Ailleurs encore : « Où irai-je, pour fuir votre esprit ? où fuir devant votre face ? Si je monte au ciel, vous y êtes ; si je descends au fond des enfers, vous voilà. Si je prends des ailes comme la colombe, je volerai jusqu’aux extrémités de la mer[9] ». Comme s’il disait : Je ne puis éviter votre colère qu’en prenant les ailes de la colombe, pour voler jusqu’à l’extrémité des mers. Et s’envoler à l’extrémité des mers, c’est étendre ses espérances jusqu’à la fin des siècles, comme l’a dit encore le Psalmiste : « Tout est labeur devant moi, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des méchants[10] ». Comment est-il parvenu aux extrémités de la mer, même avec des ailes ? « C’est là », répond-il, « que votre main me conduira, que votre droite me fera parvenir[11].

  1. Ps. 147,15
  2. Gen. 2,7
  3. Gal. 4,24
  4. Jn. 1,29
  5. Apoc. 5,5
  6. 1 Cor. 10,4
  7. Dan. 2,35
  8. Ps. 54,7
  9. Id. 138,7-10
  10. Id. 63,16-17
  11. Id. 137,10