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cœurs par la foi[1] ». Et le Seigneur a dit : « Bienheureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu[2] ». Il a donc promis de se montrer à nous. Or, considérez, mes frères, quelle est sa beauté. Toutes ces beautés qui vous plaisent et qui flattent votre vue, c’est lui qui les a créées. Si telle est la splendeur de ses œuvres, lui-même que sera-t-il ? Si telle est leur magnificence, quelle sera sa grandeur ? Donc tout ce que nous aimons ici-bas, doit nous porter à le désirer, à mépriser toutes ces créatures, pour n’aimer que lui, et par cet amour purifier nos cœurs dans la foi, afin qu’à son apparition il trouve en nous un cœur pur. Cette splendeur qui nous apparaîtra doit nous trouver guéris ; telle est aujourd’hui l’œuvre de la foi. Aussi disons-nous ici-bas : « Donnez-nous votre salut » ; donnez-nous votre Christ ; puissions-nous connaître ce Christ et le voir, non point comme l’ont vu les Juifs qui l’ont crucifié, mais comme le voient les anges dont il fait la joie.
10. « J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu[3] » Ainsi dit le Prophète ; Dieu lui parlait intérieurement, tandis que le bruit du monde éclatait au-dehors. Il se sépare alors de ce monde tumultueux, il se retire en lui-même, pour passer de lui-même à celui dont il entend la voix. Il se bouche en quelque sorte l’oreille pour ne rien entendre du bruit tumultueux de cette vie, ni du trouble d’unie âme appesantie par le poids du corps[4], ni de ces pensées nombreuses de l’esprit qu’étouffe une habitation terrestre : « J’écouterai », dit-il, « ce que dira en moi le Seigneur Dieu ». Il a entendu, quoi ? « que le Seigneur donnera des paroles de paix à son peuple ». Donc la voix du Christ, la voix de Dieu, c’est la paix, qui nous convie à la paix. Courage ! nous dit-elle, aimez la paix, vous tous qui n’êtes pas encore établis dans la paix. Que pourriez-vous désirer de moi, qui soit meilleur que la paix ? Qu’est-ce que la paix ? l’absence de toute guerre. Quand n’y a-t-il plus de guerre ? quand il n’y a ni contradiction, ni résistance, ni antagonisme. Jugez par là si nous sommes en paix, voyez si nous n’avons point de lutte contre le diable, si les fidèles et tous les saints ne sont point en guerre avec le prince des démons. Et comment lutter avec celui qui est invisible ? Ils combattent contre leurs convoitises dont il se sert pour suggérer le péché ; or, c’est combattre que refuser de consentir à ces suggestions, et ne point succomber. La paix n’est donc point avec la lutte. Montrez-moi un homme qui ne ressente aucun aiguillon dans sa chair, et qui puisse me dire qu’il est en paix. Peut-être n’est-il plus ébranlé par ces coupables voluptés, mais il en ressent du moins les suggestions : ou le démon lui suggère ce qu’il méprise, ou il trouve quelque charme dans la continence. Et s’il ne trouve aucun charme dans ce qui est criminel, il a du moins à combattre chaque jour la faim et la soif. Quel homme juste en est exempt ? Nous sommes donc en lutte avec la faim, avec la soif, en lutte avec la fatigue du corps, en lutte avec le plaisir du sommeil, en lutte avec l’accablement. Nous voulons veiller, nous sommeillons ; nous voulons jeûner, nous souffrons de la faim et de la soif ; nous voulons demeurer debout, la fatigue nous abat. Nous voulons nous asseoir, et le faire trop longtemps est encore une lassitude. Tout ce que nous recherchons comme un soulagement, nous devient ensuite une peine. Tu as faim, dira quelqu’un ; oui, réponds-tu. Et il te sert à manger. Il le fait pour rétablir tes forces ; prends longtemps de ces nourritures ; tu veux te restaurer, continue alors ; et par là, ce qui devait réparer tes forces le causera une lassitude. Las d’être assis, tu te lèves, tu marches pour te délasser ; mais continue ce délassement, et bientôt une longue marche te fatiguera ; et tu chercheras encore un siège. Trouve-moi un délassement qui, en se prolongeant, n’arrive à te fatiguer. Quelle est donc cette paix que peuvent goûter les hommes, au milieu de tant d’obstacles, de tant de désirs, de tant de misères, de lassitudes ? Ce n’est point là une véritable paix, une paix parfaite. Que sera donc la paix dans sa perfection ? « Ce corps corruptible doit se revêtir d’incorruption, cette chair mortelle d’immortalité : et alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est absorbée dans sa victoire. O mort, où est ton aiguillon ? ô mort, où est ta prétention[5] ? » Comment la paix serait-elle parfaite avec la mort ? c’est de la mort que viennent ces lassitudes, jusque dans nos délassements. Tout cela vient de la mort, puisque nous portons un corps mortel ; et qui est mort, selon l’Apôtre, même

  1. Act. 15,9
  2. Mt. 5,8
  3. Ps. 84,9
  4. Sag. 9,15
  5. 1 Cor. 15,53-55