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qu’ils ne s’écartent point des pensées terrestres, et que dans ces pensées terrestres ils sont tous d’accord. L’opinion varie, la vanité est la même. C’est d’eux qu’il est dit dans un autre psaume : « Ils se sont liés par la vanité[1] ». Divisés par la diversité de leurs erreurs, ils s’accordent néanmoins dans une même vanité. Or, vous le savez, la vanité doit être en arrière, dans l’oubli. Aussi l’Apôtre, oubliant ce qui est en arrière, c’est-à-dire la vanité, pour s’avancer vers ce qui est devant lui, ou la vérité, s’efforce de remporter la palme à laquelle Dieu l’a appelé d’en haut par Notre-Seigneur Jésus-Christ[2]. Quoique ces hommes soient donc divisés en apparence, ils sont trop d’accord pour leur malheur. C’est dans ce sens que Samson attacha les renards par la queue[3]. Le renard avec ses artifices est le symbole des hérétiques, pleins de ruse et de fourberie, se cachant, pour mieux tromper, dans des tanières aux mille détours, et qui suffoquent par heur puanteur. C’est contre cette puanteur que saint Paul a dit : « Nous sommes en tout lieu la bonne odeur de Jésus-Christ[4] ». C’est encore de ces renards qu’il est dit dans les cantiques : « Prenez-nous ces petits renards qui ravagent les vignes, et qui se dérobent dans des cavernes tortueuses[5] ». « Prenez-les pour nous », donnez-leur notre conviction ; car c’est prendre un homme que le convaincre d’erreur. Des renardeaux contredisaient un jour le Sauveur, et lui disaient : « Par quel pouvoir faites-vous ces miracles ; et vous », leur dit-il, « répondez-moi un seul mot : d’où vient le baptême de Jean ? Du ciel ou des hommes ? » Dans les tanières des renards il y a ordinairement une entrée et une sortie : or, voilà que le chasseur a placé ses pièges sur chacune de ces issues. « Dites-moi : vient-il du ciel ou des hommes ? » Ils comprennent que le piège est tendu de part et d’autre ; et ils se disent en eux-mêmes : « Si nous répondons qu’il vient du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous point cru en lui ? » Car Jean a rendu témoignage au Christ. « Si nous disons qu’il vient de la terre, le peuple nous lapidera, car on le regarde comme un Prophète ». Flairant donc le piège qui les menaçait de part et d’autre, ils répondirent : « Nous n’en savons rien ». Et le Seigneur : « Ni moi non plus, je ne vous dis point par quel pouvoir j’opère ces merveilles[6] ». Vous alléguez l’ignorance quand vous savez, et moi je ne vous enseigne point ce que vous cherchez. Vous n’avez osé sortir dans aucune direction, et vous êtes demeurés dans vos ténèbres. Obéissons donc, nous aussi, à cette injonction du Verbe de Dieu : « Prenez ces renardeaux qui ravagent nos vignes ». Voyons si nous pourrons en prendre quelques-uns : plaçons nos pièges sur chaque entrée du terrier, afin que le renard soit pris, quelque route qu’il suive. Ainsi le Manichéen se fait un dieu nouveau ; il adore dans son cœur ce qui ne fut jamais ; posons-lui cette question : La substance divine est-elle corruptible ou incorruptible ? Prenez le parti que vous voudrez, l’issue qui vous plaira ; mais vous n’échapperez point : si vous dites qu’elle est corruptible, vous serez lapidés, non par le peuple, mais bien par vous-mêmes. Si vous dites que Dieu est incorruptible, comment l’incorruptible peut-il redouter le peuple des ténèbres ? Que peut faire une race corruptible à celui qui ne l’est pas ? Que pouvez-vous répondre, sinon : « Nous ne savons ? » Or, si vous répondez ainsi, non par fourberie, mais bien par ignorance, ne demeurez point dans les ténèbres ; que le renard se change en brebis, qu’il croie au Dieu invisible, incorruptible, au Dieu qui n’est point nouveau ; au Dieu seul, et non au Dieu soleil, car n’allons pas ouvrir un autre terrier au renard qui s’enfuit. Et toutefois nous ne redoutons point le nom de soleil, car il est dit dans nos saintes Écritures, qu’il est « un soleil de justice, et que la santé est sous ses ailes[7] ». On cherche dans l’ombre un abri contre l’ardeur de ce soleil, on se retire sous ses ailes pour se défendre de ses feux : la santé est sous ses ailes. Tel est le soleil qui fera dire aux méchants : « Nous nous sommes donc égarés du sentier de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous ». Ces adorateurs du soleil diront : « Le soleil ne s’est point levé pour nous[8] » : puisqu’en adorant ce soleil que Dieu fait lever sur les bons et sur les méchants[9], ils n’ont point fait lever sur eux ce soleil qui éclaire les bons. Chacun d’eux se fait donc, à sa fantaisie, un Dieu récent. Qui

  1. Ps. 61,10
  2. Phil. 3,13-14
  3. Jug. 15,4
  4. 2 Cor. 2,15
  5. Cant. 2,15
  6. Mt. 21,23-27 ; Lc. 10,2 ss
  7. Mal. 4,2
  8. Sag. 5,6
  9. Mt. 5,45